Reporters sans frontières demande aux candidats à l'élection présidentielle américaine de s'engager à mieux protéger la liberté de la presse
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Reporters sans frontières a rendu publics aujourd'hui les courriers adressés début septembre 2008 aux candidats Barack Obama et John McCain. L'organisation de défense de la liberté de la presse leur demande de "promouvoir la liberté de la presse et d'annoncer des mesures concrètes pour garantir le droit des Américains à être informés".
"En tant que gardiens de la démocratie, les journalistes doivent être protégés partout dans le monde, mais également aux États-Unis, où la liberté d'expression est en théorie un droit inaliénable protégé par la Constitution et un exemple pour d'autres pays. Tel n'est pas le cas actuellement, loin s'en faut. Les États-Unis figurent au 36e rang sur 173 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse que nous publions aujourd'hui. Ils obtiennent seulement une place "satisfaisante", après avoir gagné huit places par rapport à l'année dernière", a déclaré Reporters sans frontières.
"Cette situation est inacceptable au pays du Premier amendement. Nous demandons aux candidats de faire savoir à leurs compatriotes comment ils pourraient améliorer ce classement et leur droit à être informés. En ces temps de crise économique et de décisions politiques cruciales, les Américains ont plus que jamais besoin d'avoir accès à des informations précises et variées afin de faire leurs choix en connaissance de cause," a ajouté l'organisation.
Reporters sans frontières soulève dans ces lettres l'impunité entourant le meurtre du journaliste américain Chauncey Bailey. L'organisation met aussi en avant la nécessité grandissante de protéger les sources des journalistes, de rester vigilant quant à la concentration des médias et la neutralité d'Internet et d'améliorer les conditions de travail des reporters dans les zones où opère l'armée américaine, en Irak et en Afghanistan.
En écrivant aux candidats, l'organisation cherche à connaître leurs points de vue sur ces différents sujets et à savoir comment ils comptent améliorer la situation de la liberté de la presse s'ils sont élus.
Reporters sans frontières met en avant la nature historique de cette élection présidentielle, "qui a fait du changement une promesse centrale des deux campagnes, (et qui) est l'occasion parfaite de renforcer le rôle crucial qu'une presse libre joue aux États-Unis". L'organisation confie aux candidats espérer "que votre gouvernement renoncera aux pratiques de secret et d'ambiguïté qui ont entravé la liberté de la presse sous le gouvernement actuel (..) (et) que le prochain président des États-Unis fournira les efforts diplomatiques nécessaires pour défendre la liberté de la presse et dénoncer partout les attaques dont elle est l'objet, qu'elles soient le fait de ses alliés comme de ses rivaux." Reporters sans frontières a ajouté que "ces dernières années ont montré que, même dans ce pays qui s'enorgueillit de son avance dans le domaine des libertés individuelles et de la presse, ces acquis demeurent vulnérables si l'on ne fait pas preuve de vigilance, si l'on ne continue pas à les défendre".
Les différents problèmes en jeu
Reporters sans frontières met en avant dans ses lettres le cas de Chauncey Bailey, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Oakland Post, assassiné en raison de ses activités, en août 2007. L'enquête s'est enlisée dans des conflits d'intérêts locaux, et l'impunité règne. Reporters sans frontières demande aux candidats s'ils sont prêts à demander au ministre de la Justice des États-Unis de diligenter une enquête indépendante sur ce crime. "La justice américaine doit envoyer un signal fort à ceux qui veulent réduire les médias au silence et leur montrer que l'impunité ne sera plus de mise. Toutes les personnes impliquées dans le crime, qu'elles l'aient commis ou planifié, et toutes celles protégeant ces dernières doivent être traduites en justice. Cette affaire grave doit être retirée aux autorités locales et portée au niveau fédéral."
L'organisation de défense de la liberté de la presse exprime également son inquiétude au sujet du secret des sources : "Un des piliers du journalisme d'investigation, (il) doit être respecté. Sinon, la capacité des médias à informer le public est remise en cause." Reporters sans frontières donne plusieurs exemples de journalistes convoqués ou condamnés par la justice fédérale à des amendes ou à des peines de prison après avoir refusé de révéler leurs sources d'information. L'organisation revient sur la “loi-bouclier” fédérale (Free Flow of Information Act), qui permettrait de protéger la confidentialité des sources des journalistes, adoptée par la Chambre des représentants en octobre 2007. Reporters sans frontièrs demande aux deux candidats s'ils vont œuvrer à la protection des sources des journalistes en soutenant la proposition de “loi-bouclier” fédérale et inciter le Congrès à voter une loi comportant l'acceptation la plus large des informations protégées par le “privilège“ des reporters et des journalistes tel qu'il est défini dans le projet de loi du Sénat et de la Chambre des représentants.
Concernant l'accès à l'information, la lettre met en avant le problème de la concentration des médias et de la décision récente de la FCC (Commission fédérale des communications), qui a assoupli les règles relative à la propriété de plusieurs types de médias. Tout en se félicitant de la décision du Sénat de bloquer ces nouvelles règles, Reporters sans frontières remarque l'absence de consensus entre les deux candidats. La lettre demande à Barack Obama s'il va continuer à soutenir la limitation de la concentration des médias et à John McCain de clarifier sa position à ce sujet.
Reporters sans frontières dénonce également le traitement déplorable réservé aux journalistes travaillant dans des zones dangereuses contrôlées par l'armée américaine, en évoquant les détentions abusives de journalistes en Irak et en Afghanistan. Cette réalité vaut aux États-Unis d'être classés à la 119e place pour leur attitude en matière de liberté de la presse hors de leurs frontières. Tout en notant "la nécessité de prendre toutes les précautions en temps de guerre", l'organisation souligne le fait que "les accusations contre des reporters locaux suspectés de terrorisme ne peuvent pas être prises à la légère. Elles proviennent trop souvent de l'ignorance des règles de la collecte d'informations. Il est impératif que les forces américaines présentes en Irak comme en Afghanistan comprennent que les journalistes et les reporters doivent être autorisés à faire leur travail." Reporters sans frontières demande également au futur président des États-Unis de faire davantage d'efforts diplomatiques dans ces pays afin de défendre plus activement la liberté de la presse, à commencer par celle des femmes journalistes en Afghanistan et par la lutte contre l'impunité dont bénéficient les assassins de reporters en Irak.
Reporters sans frontières exprime, enfin, son inquiétude concernant l'accès à l'information sur Internet et son soutien aux initiatives destinées à préserver la neutralité sur la Toile : "La pratique consistant à faire payer l'accès selon la vitesse de connexion à Internet nuit au droit à l'information. Dans une société démocratique, il est injuste que des citoyens reçoivent l'information selon une tarification discriminatoire en limitant l'accès par des critères financiers. La neutralité, qui est le concept fondamental faisant d'Internet un forum ouvert, doit être protégée." L'organisation fait également référence à la proposition de loi relative à la protection de la liberté sur Internet, soutenue par le député Edward Markey, dont elle demande des clarifications sur un certain nombre de points. Cette proposition de loi "tente de trouver le juste équilibre entre la nécessité d'un accès entièrement libre à Internet et celle d'en protéger les utilisateurs contre ses contenus dangereux." Le courrier mentionne le fait que Barack Obama a soutenu une loi similaire dans le passé et que John McCain "n'(exprime) pas clairement (son) soutien aux règles de neutralité sur Internet et estim(e) au contraire que les règles du marché libre corrigeraient les disparités d'accès à l'information résultant d'un système Internet à deux vitesses."
La responsabilité des entreprises américaines et occidentales du secteur d'Internet et des télécommunications est aussi évoquée. Cisco Systems, Yahoo!, Google et Microsoft entre autres, ont été accusées de violer les normes et règles internationales relatives aux droits humains et à la liberté d'expression. Yahoo! a transmis des données personnelles d'utilisateurs aux autorités chinoises, les aidant ainsi à condamner au moins quatre dissidents, dont le journaliste Shi Tao, à des peines de prison. Reporters sans frontières interroge chaque candidat sur sa position envers le Global Online Freedom Act, une proposition de loi introduite par le député Chris Smith (Républicain, New Jersey) qui tente de limiter la collaboration entre les entreprises et les censeurs d'Internet des régimes répressifs.
Reporters sans frontières accueille de manière positive la promulgation d'amendements à la loi sur la liberté d'information qui "facilitent l'accès aux documents du gouvernement de manière qu'ils soient plus accessibles et mis à disposition de manière appropriée". L'organisation regrette cependant que "l'approbation de ces amendements survienne alors que le gouvernement a déjà contourné le droit d'accès aux documents fédéraux, l'exemple le plus connu étant la destruction par la CIA de vidéos montrant des actes de torture sur des individus suspects de ‘terrorisme'". Les lettres critiquent également le fait "le climat de cachotterie dans lequel le gouvernement a mené tant d'opérations (et qui) a sérieusement entamé la confiance du public dans les services exécutifs de la présidence. Depuis sept ans, il s'est donné encore davantage de moyens de retenir l'information, au nom de la sécurité nationale". Chaque candidat est interrogé sur la manière dont il entend appliquer la loi sur la liberté d'information s'il est élu Président.
Publié le
Updated on
20.01.2016