Trois journalistes du quotidien Berlingske Tidende risquent jusqu'à deux ans de prison. Ils ont publié les informations qu'un agent des renseignements danois leur avait transmises, niant l'existence d'armes de destruction massive en Irak. Reporters sans frontières juge est surprise qu'un pays comme le Danemark puisse porter de telles accusations contre des journalistes et demande l'annulation des poursuites.
Reporters sans frontières est inquiète de la décision du procureur du royaume d'inculper deux journalistes du quotidien Berlingske Tidende, Michael Bjerre et Jesper Larsen d'atteinte à la sécurité de l'Etat. Les deux hommes sont accusés d'avoir publié, les 22, 23 février et 7 mars 2004, des informations provenant des services secrets danois. Un agent du renseignement militaire (FE), Frank Soeholm Grevil, leur avait transmis des extraits de rapports selon lesquels aucune information crédible sur l'existence d'armes de destruction massive (ADM) en Irak n'était disponible avant l'intervention militaire de mars 2003. La présence d'ADM avait été le principal argument avancé par le Premier ministre Anders Fogh Rasmussen pour justifier la participation du Danemark à la coalition anglo-américaine. D'après les informations recueillies par Reporters sans frontières, le rédacteur en chef du journal, Niels Lunde, aurait également été inculpé, le 28 avril.
“Nous demandons au gouvernement d'abandonner immédiatement les poursuites engagées contre les journalistes du Berlingske Tidende. Nous rappelons qu'il est du devoir des professionnels des médias de publier des informations d'intérêt général. Les journalistes ne peuvent en aucun cas être tenus responsables de fuites provenant de l'administration d'un pays. Par ailleurs, comment le gouvernement peut-il considérer que la sécurité du Danemark est toujours menacée, trois ans après les faits? Enfin, ces accusations sont surprenantes et choquantes pour un pays comme le Danemark, l'un des plus respectueux de la liberté de la presse dans le monde. Elles pourraient créer un dangereux précédent”, a déclaré Reporters sans frontières.
Michael Bjerre et Jesper Larsen avaient déjà été mis en examen, le 26 avril 2004, pour “publication d'informations illégalement obtenues par un tiers”, d'après l'article 152-d du code pénal. Ils risquaient alors une peine maximale de six mois de prison. Aujourd'hui, les chefs d'inculpation ont été aggravés et les deux hommes sont désormais accusés “d'atteinte à la sécurité de l'Etat” et risquent deux ans de prison.
Contacté par reporters sans frontières, le représentant syndical de la rédaction du Berlingske Tidende, Jesper Termansen, a déclaré que toute l'équipe du journal était sous le coup de la décision du procureur. « Les deux journalistes ont fait un travail honnête. Ce serait une erreur de la part du procureur de continuer à les poursuivre. Dans le cas contraire, la démocratie serait en danger au Danemark », a-t-il ajouté.
Le président du syndicat des journalistes danois, Mogens Blicher Bjerregaard, s'est déclaré de son côté «choqué» par cette inculpation et prêt à saisir la Cour européenne des droits de l'homme si ses adhérents étaient condamnés.
La date du procès n'a pas été fixée.
En Allemagne, deux journalistes ayant publié un rapport confidentiel de l'armée allemande sur le soutien de l'Iran à des membres du réseau Al-Qaïda, ont été inculpés en mars 2006. En Suisse, trois journalistes du SonntagsBlick encourent la prison pour avoir révélé l'existence de prisons secrètes de la CIA sur le territoire suisse.
L'affaire du Berlingske Tidende porte donc à huit le nombre de journalistes inculpés de divulgation de secret d'Etat en Europe occidentale depuis le début de l'année 2006.