Reporters sans frontières a fait part à la présidente de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP) de son “extrême inquiétude pour la liberté d'expression” en Gambie. L'organisation estime qu'il lui semblerait “opportun” que la CADHP envisage “la possibilité de déménager son siège hors de Banjul, jusqu'à ce que les libertés civiles et politiques y soient respectées”.
Dans une lettre datée du 31 mai 2006, Reporters sans frontières a fait part à Salamata Sawadogo, présidente de la Commission africaine des droits de l'homme et des peuples (CADHP), de son “extrême inquiétude pour la liberté d'expression” en Gambie, estimant qu'il lui semblerait “opportun” que la CADHP envisage “la possibilité de déménager son siège hors de Gambie, jusqu'à ce que les libertés civiles et politiques des Gambiens soient respectées, et notamment leur droit à l'expression libre.”
Après avoir remercié Salamata Sawadogo d'avoir, lors d'une conférence de presse le 29 mai, publiquement évoqué Deyda Hydara, l'organisation lui a exprimé “son écoeurement face au comportement des autorités gambiennes” dans l'affaire de l'assassinat encore impuni du cofondateur et directeur de The Point, par ailleurs correspondant de l'Agence France-Presse (AFP) et de Reporters sans frontières, abattu le 16 décembre 2004.
“Près de dix-huit mois ont passé depuis l'assassinat de l'un des journalistes les plus respectés d'Afrique de l'Ouest, sans qu'aucune avancée sérieuse dans l'enquête laisse espérer que justice pourra un jour être rendue à sa famille, a ajouté Reporters sans frontières. (...) Les éléments connus sur les circonstances entourant l'assassinat de Deyda Hydara, notamment le mode opératoire utilisé, les menaces répétées préalablement proférées contre le journaliste et le contexte politique dans lequel le crime a eu lieu, n'ont pas été retenus par la National Intelligence Agency (NIA, services de renseignements). La piste du crime politique, lié à l'activité de journaliste de la victime, n'a pas été approfondie. Les analyses techniques de la scène du crime (analyse balistique, relevés de traces, etc.) n'ont pas été communiquées. Le rapport d'autopsie, indispensable à la famille Hydara pour obtenir le versement de l'assurance-vie souscrite par le défunt, ne lui a jamais été fourni, malgré plusieurs demandes. Plus troublant enfin, des investigations menées par notre organisation ont révélé que Deyda Hydara était menacé et surveillé par la NIA, quelques minutes encore avant son assassinat.”
L'organisation informe par ailleurs la président de la CADHP de son “extrême préoccupation face au traitement inadmissible réservé à la liberté de la presse en Gambie depuis plusieurs années”. “La dégradation de la situation, particulièrement nette ces dernières semaines, est d'autant plus révoltante que la Gambie doit accueillir le mois prochain le sommet des chefs d'Etat de l'Union africaine et organiser une élection présidentielle au mois d'octobre”, ajoute Reporters sans frontières.
Au moins trois journalistes sont actuellement détenus dans le pays, hors de toute procédure légale et au mépris de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, dont la Gambie est signataire. Dans ses articles 6, 7, 8 et 9, le texte tutélaire de la CADHP prévoit en effet une protection des individus contre l'arrestation arbitraire, le droit à un procès équitable, la liberté de conscience et le droit à l'information. “Or, l'ensemble de ces dispositions a été récemment bafoué par les autorités gambiennes, qui font un usage sans scrupule de la détention arbitraire”, a écrit l'organisation.
Musa Sheriff, journaliste de l'hebdomadaire privé Gambia News & Report, et Malick Mboob, ancien journaliste du quotidien privé Daily Observer, ont été arrêtés le 26 mai et placés en détention au quartier général de la NIA à Banjul. Ils ont été raflés après que leur nom est apparu dans la liste des abonnés du site d'opposition Freedom Newspaper, piraté par un internaute quelques jours auparavant. Pa Modou Faal, journaliste de la télévision publique Gambian Radio Television Service (GRTS), a été arrêté en même temps qu'eux, avant d'être relâché le 30 mai, en compagnie de Musa Sherrif. Le délai de détention maximum de 72 heures a expiré sans que ces journalistes n'aient été inculpés ou n'aient eu accès à un avocat. Le lendemain, Lamin Cham, ancien rédacteur en chef du Daily Observer, correspondant de la radio publique britannique British Broadcasting Corporation (BBC), a été arrêté à son tour, tandis que Omar Bah, journaliste du Daily Observer, est entré en clandestinité pour fuir la NIA.
Un journaliste du bihebdomadaire privé The Independent, Lamin Fatty, a été arrêté le 12 avril 2006 à son domicile par la police et détenu pendant plus d'un mois, sans avoir accès à un avocat. Le 24 mai, il a été inculpé de “publication de fausses nouvelles” en vertu d'une loi draconienne prévoyant de lourdes peines de prison, votée, malgré les protestations des organisations locales et internationales de défense des journalistes, à la veille de l'assassinat de Deyda Hydara.
Le directeur général de The Independent, Madi Ceesay, par ailleurs président de la Gambia Press Union (GPU), et son rédacteur en chef, Musa Saidykhan, ont été quant à eux détenus au secret pendant près de trois semaines, entre le 28 mars et le 20 avril, en dehors de toute procédure légale. Leur journal a été mis sous scellés et illégalement empêché de rouvrir depuis, malgré les promesses des services de renseignements.