Reporters sans frontières dénonce la condamnation d'un journaliste pour recel de violation du secret de l'instruction

Gilles Millet, actuellement journaliste du mensuel Corsica, a été condamné le 23 octobre 2003, par le tribunal correctionnel de Paris, à 1 000 euros d'amende avec sursis pour recel de violation du secret de l'instruction. Poursuivi également pour recel de violation du secret professionnel, il a été relaxé de ce délit. "Comment les magistrats chargés de l'affaire peuvent-ils affirmer qu'il n'y a pas d'atteinte au droit à l'information ? s'interroge Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières. "Les condamnations pour recel de violation du secret professionnel ou du secret de l'instruction entravent le travail de la presse. Elles font peser une menace sur la protection des sources des journalistes en interdisant la détention et la publication de certains documents, alors même que les journalistes ne sont tenus ni par le secret professionnel ni par celui de l'instruction", a-t-il dénoncé. Reporters sans frontières rappelle par ailleurs que le domicile des journalistes ne bénéficie d'aucune protection en cas de perquisition. Contrairement aux locaux des entreprises de presse qui ne peuvent être perquisitionnés qu'en présence d'un magistrat (article 56-2 du code de procédure pénale). L'affaire a commencé le 30 juin 1998 avec une perquisition au domicile du journaliste Gilles Millet, à l'époque spécialiste de la Corse pour L'Evènement du jeudi, menée par la Direction nationale antiterroriste, dans le cadre d'une information judiciaire menée par Jean-Louis Bruguière, pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste", quatre mois après l'assassinat du préfet Claude Erignac. La police avait saisi les carnets de Gilles Millet et trouvé deux documents : la copie d'un procès-verbal couvert par le secret de l'instruction puisqu'établi dans le cadre d'une information judiciaire sur la filière porcine en Corse, et un rapport de l'inspection des finances, couvert par le secret professionnel. A l'issue de cette perquisition, Gilles Millet avait été placé en garde à vue pendant 48 heures, puis mis en examen. Reporters sans frontières avait dénoncé cette mesure d'entrave à la liberté de la presse et d'atteinte à la protection des sources du journaliste. Le 23 octobre 2003, Gilles Millet a été condamné pour recel de violation du secret de l'instruction pour la détention du procès-verbal. Les magistrats ont considéré que le journaliste ne pouvait ignorer que ce document était couvert par le secret de l'instruction. Ils ont ajouté qu'il n'y avait pas d'atteinte au droit à l'information, les poursuites pour détention d'un document secret étant justifiées, selon le tribunal, "par la protection de la réputation ou des droits d'autrui et pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire". Reporters sans frontières rappelle que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a déjà condamné la France pour des verdicts similaires. Mais les juridictions nationales n'ont pas l'obligation de se conformer à ce qu'a décidé la CEDH. Que cette dernière se soit clairement prononcée contre des pratiques judiciaires françaises ne suffit pas pour que les juridictions nationales suivent ses recommandations. La CEDH a condamné la France, le 21 janvier 1999, dans l'affaire du Canard Enchaîné, accusé de recel de violation du secret professionnel. La CEDH a stigmatisé la condamnation de l'hebdomadaire français en la jugeant contraire à l'article 10 de la Convention européenne. Elle a considéré que la publication du document couvert par le secret était justifiée, au nom du droit du public à être informé sur des questions d'intérêt général. La Cour de cassation ne s'est cependant jamais incliné devant cette interprétation de la CEDH. Ainsi, en juin 2001, elle a confirmé la condamnation des auteurs et de l'éditeur du livre "Les Oreilles du Président", qui avait pour sujet l'affaire des écoutes de l'Elysée. Les auteurs étaient accusés de recel de violation du secret professionnel ou du secret de l'instruction, pour s'être appuyés sur les comptes rendus d'écoutes qui figuraient dans le dossier du juge d'instruction. La Cour de cassation, devant laquelle la défense a invoqué l'article 10, n'a pas fait prévaloir le respect de la liberté d'expression. Elle a estimé que la condamnation était justifiée par les restrictions à cette liberté : impératif de protection des droits d'autrui, garantie de l'autorité et de l'impartialité du pouvoir judiciaire. Les condamnations pour recel de violation de secret ont fait leur apparition dans les années 90 avec les affaires politico-financières. Malgré la jurisprudence de la CEDH, les condamnations de journalistes pour détention de documents secrets ont continué. Celles-ci mettaient par ailleurs en cause le droit pour les journalistes accusés de diffamation d'apporter la preuve de leurs affirmations ou de la véracité de leur dires, jusqu'à ce que la Cour de cassation ouvre une brèche. Elle a en effet admis, en juin 2002, qu'un journaliste a le droit de détenir des documents couvert par le secret de l'instruction dès lors qu'ils sont nécessaires à assurer sa défense.
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Updated on 20.01.2016