Reporters sans frontières alarmée par une nette dégradation de la liberté de la presse

Alors que les manifestations réclamant le départ du président Aristide se multiplient, près d'une dizaine de médias ont été fermés ou victimes de violences et d'actes d'intimidation. Après les appels lancés par des élus Lavalas à prendre les armes, Reporters sans frontières a mis en garde le gouvernement contre "une politique du pire".

Au cours des dernières quarante-huit heures, près d'une dizaine de médias ont été fermés ou victimes de violences et d'actes d'intimidation. Reporters sans frontières est profondément préoccupée par la multiplication des atteintes à la liberté de la presse constatée au cours des dernières semaines, alors que les manifestations réclamant le départ du président Aristide (photo) s'étendent à tout le pays. "Nous sommes extrêmement préoccupés par le risque d'une "politique du pire" de la part du gouvernement alors que certains élus de Fanmi Lavalas appellent les partisans du Président, de plus en plus contesté, à prendre les armes", s'est alarmé Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières. L'organisation a appelé les autorités à prendre des sanctions contre les auteurs des appels à la violence et à donner des consignes très claires aux partisans du gouvernement de ne plus faire usage de la violence. Elle a également démandé que Radio Maxima, fermée par la police le 17 décembre, soit indemnisée dans les meilleurs délais et autorisée à réémettre. Derniers incidents
Le 17 décembre 2003, selon différentes sources, des policiers se sont présentés dans les locaux de Radio Maxima, située au Cap-Haïtien (Nord), la deuxième ville du pays, avec un mandat de perquisition, à la recherche d'armes. Les policiers ont détruit une partie du matériel et fermé la radio. Le gardien de la station a été arrêté. Dans la même ville, l'enseigne de l'antenne locale de Radio Vision 2000, dont le siège se trouve à Port-au-Prince, a été détruite vers 8 heures du matin. La radio a alors suspendu ses émissions jusqu'en fin de journée. Plusieurs radios du Cap-Haïtien ont suspendu leurs émissions d'information le même jour. La veille au soir, Radio Maxima avait déjà été la cible de tirs d'individus armés non identifiés. Ces attaque faisaient suite aux déclarations, en début de semaine, de Nawoom Marcellus, député de Fanmi Lavalas (au pouvoir), qui aurait promis de s'occuper "manu militari" de Jean-Robert Lalanne, le directeur de la station. Des inconnus s'en étaient également pris aux locaux de Radio Vision 2000 au Cap-Haïtien. Toujours le 17 décembre, des individus armés circulant, à bord d'un véhicule d'une entreprise publique à Port-au-Prince, ont menacé plusieurs journalistes dont Josué Jean et Wendy Richard, de Radio Vision 2000. Les deux hommes ont parlé de tentative d'assassinat. Selon Radio Ibo, deux de ses journalistes, Hans Pierre-Louis et Patrick Chéry, ont également été pourchassés dans les rues de Port-au-Prince par des partisans du gouvernement. Des tracts ont été diffusés dans la capitale annonçant que la ville sera à feu et à sang en cas de départ de Jean-Bertrand Aristide. Le 16 décembre, Wendy Richard avait été menacé d'agression sur les ondes par Jean-Marie Perrier, surnommé "Pa Pé Chay", chef d'une "organisation populaire" (un groupe de civils armés) proche de Fanmi Lavalas qui sévit dans le sud du pays. Jean-Marie Perrier avait également menacé Marie-Lucie Bonhomme, directrice de rédaction de Radio Vision 2000, Valéry Numa, de la même radio, et Lilianne Pierre-Paul et Sony Bastien, de Radio Kiskeya. Le 16 décembre, lors d'une intervention sur Radio Guinen, Nawoom Marcellus, député de Fanmi Lavalas, a accusé les mêmes journalistes d'être partisans du départ d'Aristide. Il leur a reproché de tenir un langage violent et a demandé à l'Association nationale des médias haïtiens (ANMH) de prendre des sanctions disciplinaires à leur encontre. Le 16 décembre, Fegentz Calès Paul, de Radio Antilles, a été frappé à coups de bâton par le commissaire de police Ricardo Etienne alors qu'il couvrait une manifestation réclamant le départ du Président, dans l'est de la capitale. Selon Jacques Sampeur, directeur de la radio, un groupe d'une quarantaine de chimères (voyous agissant pour le compte du gouvernement) avaient déjà assiégé la radio le 12 décembre en menaçant d'y mettre le feu. Les journalistes étaient restés enfermés de 7 heures du matin à 14 heures. L'attaque du 17 décembre contre Radio Maxima est la troisième dont est victime la station en moins de deux mois. Le 25 novembre, Jean Robert Lalanne avait été blessé par balles, à son domicile du Cap-Haïtien par deux inconnus qui avaient pénétré dans l'enceinte de sa maison. Le 27 octobre, la station avait temporairement suspendu ses programmes d'information après avoir, selon elle, reçu des menaces émanant de proches du pouvoir. Jean Robert Lalanne est également secrétaire général du Front d'opposition du Nord, une coalition qui regroupe plusieurs partis d'opposition. Des appels à la violence
Selon Radio Métropole, les députés Lavalas Nawoom Marcellus et Wilnet Content ont demandé aux partisans d'Aristide, le 14 décembre, à l'antenne des radios Africa et Négritude, de préparer leurs armes. Toujours d'après Radio Métropole, ces propos ont été condamnés par Mario Dupuy, secrétaire d'Etat à la Communication, qui n'aurait annoncé aucune sanction pour autant à l'encontre des deux députés. Le 12 décembre, Lilas Desquiron, ministre de la Communication, avait appelé les médias à adopter une "attitude responsable". Elle dénonçait "une campagne de désinformation" de plusieurs médias et niait les menaces dont ils faisaient état. Le 11 décembre, Radio Vision 2000, Radio Métropole, Radio Caraïbes et Radio Kiskeya ont interrompu leurs émissions suite aux menaces reçues par des partisans du président Aristide. Cette suspension faisait déjà suite à des déclarations de Nahoum Marcellus qui avait accusé, le jour même, certains médias d'être financés par les Etats-Unis et de diffuser de la propagande antigouvernementale. Le député avait promis de leur apporter "la réponse appropriée" et avait appelé les partisans du Président à prendre les armes. Les quatre radios avaient repris leur programmation dès le 12 décembre. Pour Liliane Pierre-Paul, directrice de Radio Kiskeya, ce que le gouvernement reproche aux médias c'est tout simplement d'informer sur les événements que connaît le pays. Le 6 décembre, des individus armés ont été aperçus devant le domicile de Nancy Roc, de Radio Métropole, à bord d'une jeep de marque Suzuki. Selon des témoins cités par la journaliste, les individus ne se cachaient pas et sont également restés garés devant chez elle toute la matinée du 7 décembre. Pour Nancy Roc, cet acte d'intimidation est lié à l'indépendance de ton de l'émission "Métropolis" qu'elle anime sur Radio Métropole. Le 16 février dernier, la résidence de sa mère avait déjà été la cible de tirs et de jets de bouteille de la part d'inconnus qui avaient également proféré des insultes contre la journaliste. Le 5 décembre, Rodson Josselin, journaliste pour l'agence en ligne Haïti Press Network, a été pris à partie par des partisans d'Aristide alors qu'il couvrait une manifestation d'étudiants réclamant la démission du Président. Le journaliste a reçu des coups de bâton sur les bras ; il a également été menacé. Au moins deux autres journalistes, dont Vénèl Casséus, reporter de Radio Kiskeya, ont été légèrement blessés par des jets de pierres. Au total, vingt-cinq personnes ont été violemment molestées, dont le recteur de l'université qui a eu les deux jambes brisées. Le 25 novembre, une tête a été découverte gisant sur un tas d'immondices dans le centre de Port-au-Prince, entourée de tracts menaçant de représailles certains membres de l'opposition, de la société civile et de la presse. Parmi les journalistes cités, figuraient les noms de Lilianne Pierre-Paul, Marie-Lucie Bonhomme, Valéry Numa, Jean-Robert Lalanne et François Rotchild Junior, de Radio Métropole. Le 28 octobre, des individus armés de mitraillettes ont ouvert le feu sur les locaux de la station privée Radio Caraïbes, à Port-au-Prince. L'attaque n'a pas fait de victimes mais a endommagé gravement la façade de l'immeuble ainsi que la voiture d'Harold Domond, un chroniqueur sportif de la radio. Selon des témoins, le véhicule des assaillants portait une plaque officielle. Selon Jean-Elie Moléus, directeur de la rédaction, la station recevait alors régulièrement des menaces. Radio Caraïbes a dû suspendre momentanément ses émissions.
Publié le
Updated on 20.01.2016