Reporters sans frontières écrit au président Daniel Ortega face à l'aggravation de la situation des libertés publiques
Reporters sans frontières est particulièrement indignée par les violences dont ont été victimes des journalistes et des représentants du Centre nicaraguayen des droits de l'homme (Cenidh), le 16 octobre 2008, par des partisans du gouvernement. L'épisode s'est produit devant le siège du parquet de Managua, sous les yeux de policiers impassibles.
Président de la République
Managua, Nicaragua Monsieur le Président, Reporters sans frontières, organisation mondiale de défense de la liberté de la presse, souhaite vous faire part de son inquiétude au vu de récents événements affectant les organisations non gouvernementales et les médias. Cette situation traduit une nette détérioration de l'état des libertés publiques dans votre pays. Ils vous incombe d'y remédier, en tant que garant des principes constitutionnels fondamentaux. Nous sommes tout d'abord indignés par la passivité coupable des forces de l'ordre, le 16 octobre 2008, lorsque des représentants du Centre nicaraguayen des droits de l'homme (Cenidh) ont été agressés devant les locaux du parquet par des membres des Conseils du pouvoir citoyen (CPC), instance coordonnée par votre épouse, Madame Rosario Murillo. Vilma Nuñez, présidente exécutive du Cenidh, a échappé de peu à des brutalités a fortiori inadmissibles envers une personne âgée de 70 ans. Le chargé de communication du Cenidh, Héctor Calero et son frère, Camilo Calero, reporter d'images de la chaîne privée Canal 12, ont été roués de coups au sol, avant que Dino Andino, de la chaîne Canal 2 et deux avocats - Norwin Solano et Gonzalo Carrión -, ne soient pris à partie à leur tour en essayant de s'interposer. Les policiers présents n'ont même pas daigné répondre aux sollicitations des victimes et il ne s'est trouvé aucune voix au sein de la justice ou du gouvernement pour condamner de tels actes. Cet épisode a eu lieu alors que les membres du Cenidh accompagnaient Cecilia Millán, représentante d'OXFAM - Grande-Bretagne au Nicaragua, au siège du parquet auquel elle devait remettre les documents comptables de son organisation. Cette convocation fait suite aux accusations de “malversation“ et de “blanchiment d'argent” qui frappent dix-sept ONG et, dans ce cas précis, le Centre d'investigation de la communication (CINCO) et le Mouvement autonome des femmes (MAM) avec lesquels OXFAM - Grande-Bretagne est liée par un accord de coopération. Dans un communiqué daté du 10 octobre 2008, Reporters sans frontières s'était déjà inquiétée des conséquences de la campagne de calomnie médiatique dirigée contre les jounalistes Carlos Fernando Chamorro et Sofía Montenegro respectivement directeurs de CINCO et MAM. La convocation de ces deux personnes par le parquet et la perquisition de leurs bureaux, dans le cadre d'une action judiciaire engagée à la demande du ministère de l'Intérieur, ont été entachées d'irrégularités et effectuées dans un climat de violence et d'intimidations impropre à l'exercice serein et impartial de la justice. La chasse aux sorcières contre des ONG ou des médias privés accusés de vouloir “déstabiliser le gouvernement” ou “de travailler pour le compte de la CIA “ - accusations lourdes de dangers pour l”intégrité physique des personnes qu'elles visent - a d'autres conséquences inquiétantes pour la liberté d'expression. Elle a par exemple conduit le journaliste et éditorialiste Edgar Tijerino à renoncer à ses commentaires politiques qui, depuis des décennies, rythmaient la vie des auditeurs de programmes sportifs au Nicaragua. Ces attaques sont d'autant plus odieuses qu'elles visent son épouse Auxiliadora Mercado, qui s'est toujours maintenue éloignée du débat public. La chasse aux sorcières s'est également illustrée par les actes d'intimidation commis par des militants des CPC contre le quotidien La Prensa, cible de poursuites judiciaires pour ”injures” et “calomnies” par trois députés de l'Alliance libérale nicaraguayenne (ALN). Les “injures” et “calomnies”, également imputées par ces derniers à Santiago Aburto, de Canal 12 et à Jaime Arellano, ancien présentateur de Canal 2, n'ont rien à envier à d'incessantes diatribes contre leur personne par des officiels, via la chaîne progouvernementale Canal 4. Jaime Arellano a été convoqué, le 8 octobre 2008, par le parquet pour avoir réalisé, au mois d'août dernier, une interview de l'ancien président mexicain Vicente Fox, qualifiée d'”ingérence extérieure” à la veille des élections municipales du 9 novembre. Cette accusation révèle une volonté évidente de faire porter au journaliste la responsabilité de propos qu'il lui appartient de transmettre dans l'exercice de ses fonctions. Un pas vers le délit d'opinion serait franchi si Jaime Arellano devait être condamné pour ce motif. Enfin, la diabolisation de l'exercice de la profession a également des répercussions sur la vie quotidienne de professionnels des médias, comme dans le cas d'Oliver Gómez, du quotidien El Nuevo Diario, victime d'une mesure arbitraire de la part d'un fonctionnaire du ministère de la Santé publique qui a refusé d'adminstrer le vaccin dont ce “représentant de l'oligarchie” avait besoin pour voyager à l'étranger. Cette punition résulte, là encore, d'une campagne désignant à la vindicte tout collaborateur d'un média jugé non conforme à l'opinion officielle. Une telle pratique d'ostracisme est particulièrement grave dans la mesure où elle laisse libre cours à tous les abus à tous les niveaux de pouvoir. Elle remet aussi sérieusement en question le principe d'égalité de tous les citoyens de ce pays et leur droit à la non-discrimination. C'est pourquoi nous vous demandons de faire cesser les campagnes de haine et de suspicions, y compris sur le terrain judiciaire, de garantir la sécurité des professionnels des médias et de tout mettre en œuvre pour préserver le droit d'informer librement. Nous espérons aussi que les responsables de violences seront poursuivis et condamnés quelles que soient leurs attaches partisanes. Reporters sans frontières est prête à appuyer toute initiative qui contribuerait à restaurer la paix civile, sans laquelle l'exercice des droits démocratiques est impossible. En vous remerciant de l'attention que vous porterez à cette lettre, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma très haute considération. Jean-François Julliard
Secrétaire général