Reporters sans frontières écrit au président Alvaro Uribe après ses déclarations véhémentes contre un journaliste

Accusé par le président de la République, Alvaro Uribe, d'être la plume d'un ouvrage le mettant en cause, le correspondant colombien de El Nuevo Herald, Gonzalo Guillén, est obligé de quitter le pays. Reporters sans frontières sollicite des explications du chef de l'État dans une lettre ouverte.

Monsieur le Président Alvaro Uribe Vélez
Président de la République de Colombie
Casa de Nariño, Bogotá Monsieur le Président, Reporters sans frontières a pris connaissance avec inquiétude de vos déclarations par voie de presse, le 2 octobre 2007, concernant Gonzalo Guillén, correspondant en Colombie du quotidien américain hispanophone El Nuevo Herald. Les graves accusations que vous portez contre ce journaliste, déjà victime de menaces attribuées à des groupes paramilitaires depuis le mois de mai dernier, sont de nature à l'exposer à de graves dangers. Nous nous permettons de vous rappeler que le 23 février dernier, vous aviez fustigé de la même manière à l'antenne de Caracol Radio Carlos Lozano, directeur de l'hebdomadaire Voz. Vous aviez qualifié ce dernier de “porte-parole des Forces armées révolutionnaires de Colombie” (FARC), alors qu'il subissait lui aussi la menace des paramilitaires et craignait à bon droit pour sa vie. De tels propos sont dangereux. Vedette de la télévision et ancienne maîtresse de Pablo Escobar, Virginia Vallejo a récemment publié ses mémoires “Amando a Pablo, odiando a Escobar” (“Aimer Pablo, haïr Escobar”) dans lesquelles elle revient sur votre “amitié” supposée avec l'ancien chef du cartel de Medellín - où vous avez exercé les fonctions de maire et de gouverneur du département d'Antioquia -, tué en 1993. Directeur de l'aviation civile entre 1981 et 1983, vous auriez notamment accordé des licences aux narcotrafiquants de Medellín pour la construction de pistes d'atterrissage et de petits porteurs. Un document de la Defense Intelligence Agency, service de renseignements militaires des États-Unis, daté de 1991 et publié en 2004 par l'hebdomadaire Newsweek, a étayé ces allégations tout en portant la mention “sans vérification finale”. Vous avez bien sûr le droit de vous défendre. Le 30 septembre, des extraits du livre ont été rendus publics sur le plateau de “Noticias Uno”, le journal de la chaîne publique Canal Uno. La Casa de Nariño, le palais présidentiel, a publié le lendemain un démenti sur son site Internet. Quel besoin aviez-vous donc, après cette mise au point, d'accuser Gonzalo Guillén d'être “la plume” de Virginia Vallejo et de salir sa réputation, lors d'une interview donnée le 2 octobre aux deux grandes radios privées Caracol Radio et RCN ? Gonzalo Guillén avait effectivement publié, en juillet 2006, une enquête intitulée “Les confidences de Pablo Escobar” sur la base de révélations de Virginia Vallejo. Il vous avait également mis en cause, en 2002, dans un article sur le clan Ochoa, une branche dirigeante du cartel de Medellín. Vos accusations sont-elles guidées par l'appétit de vengeance ? Votre rang de chef d'État devrait vous inciter à répondre sur le fond. Le 2 octobre, Gonzalo Guillén a assuré, à l'antenne de la station W Radio, n'être pour rien dans le livre de Virginia Vallejo et ne l'avoir même pas lu. Il compte porter plainte contre vous pour “calomnie” et “injure”. En attendant, il n'a d'autre choix que de quitter le pays. Le départ forcé d'un journaliste constitue un revers pour la liberté de la presse et c'est en ce sens que vos propos sont dommageables. En vous remerciant de l'attention que vous porterez à cette lettre, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l'expression de ma très haute considération. Robert Ménard
Secrétaire général
Publié le
Updated on 20.01.2016