Reporters sans frontières est excédée par les multiples atteintes à la liberté de la presse constatées depuis le début du mois de mars. Celles-ci mettent trop souvent en cause les autorités locales qu'il appartient au gouvernement de sanctionner. La situation dramatique des journalistes colombiens n'est pas le seul fait des acteurs du conflit armé.
Reporters sans frontières est très préoccupée par la recrudescence des actes de violence et d'intimidations envers les médias colombiens, malgré les promesses formulées par le gouvernement colombien, et en particulier le président Alvaro Uribe, en faveur de la protection des journalistes. Ces attaques sont loin de se limiter aux seuls acteurs du conflit armé.
« Les guérillas et les paramilitaires ne sont, hélas, pas seuls en cause dans cette multiplication des atteintes à la liberté de la presse constatée depuis le début du mois de mars. Le gouvernement et les autorités judiciaires et policières ne peuvent se défausser entièrement sur les acteurs du conflit armé pour expliquer un réel climat d'hostilité envers les médias. Il leur appartient notamment de sanctionner les politiciens locaux qui abusent de leur pouvoir et commanditent parfois ces agressions », a déclaré Reporters sans frontières.
Le 8 mars 2006, Carlos Humberto Patiño, reporter photographe pour La Opinión, devait couvrir une manifestation pour la Journée internationale de la femme organisée au Club du commerce de Cucúta (Nord-Est). Dans un salon contigu se tenait une réunion politique à laquelle assistaient une centaine de personnes. Au moment où le journaliste a commencé à prendre des photos, Cesar Rojas Ayala, secrétaire des transports de Cucúta, s'est levé pour lui porter un coup et l'a insulté violemment. De nombreux membres de l'assistance ont, eux aussi, tenté d'agresser le journaliste et de lui arracher son appareil photo. Par la suite, les agresseurs l'ont retenu dans l'enceinte et ont détruit sa pellicule. Grâce à l'intervention de Gloria Rodríguez, gérante du club, le journaliste a pu quitter l'enceinte. Il a immédiatement informé sa rédaction et une plainte a été déposée.
Le même jour, à 11 heures du matin, à Pereira (Centre-Ouest), entre 20 et 30 hommes, certains armés, sont entrés dans la réserve où Antonio Vargas Valbuena, directeur du mensuel Primera Plana, stockait les exemplaires de sa dernière édition. Ils ont affirmé que l'ancien gouverneur de Risaralda et actuelle candidate au Sénat pour le parti politique Cambio Radical, Elsa Gladys Cifuentes Aranzazu, leur avait donné l'ordre de saisir les numéros à paraître. Antonio Vargas Valbuena a alors averti Carlos Alberto Botero López, actuel gouverneur du département, et la police a aussitôt envoyé quatre agents qui ont réussi à dissuader le groupe d'hommes.
Mais au début de l'après-midi, alors que le journaliste était sorti déjeuner et distribuer quelques exemplaires, quatre véhicules se sont arrêtés devant la réserve. Une vingtaine d'hommes ont agressé le vigile qui se refusait à leur donner les exemplaires. Après avoir bousculé violemment le gardien, ils se sont emparés des numéros.
La dernière édition de Primera Plana contenait un article intitulé « La corruption est-elle arrivée au Sénat ? », qui met en cause le passé d'Elsa Gladys Cifuentes en tant que gouverneur du département de Risaralda. Le gouverneur actuel a confié à la Fondation pour la liberté de la presse (FLIP), que les menaces contre le journaliste étaient anciennes et qu'il existait de sérieux indices sur la responsabilité d'Elsa Gladys Cifuentes et de certains de ses proches. Des procédures pénales relatives à ces faits sont en cours.
Le 7 mars, Edison Núñez, journaliste pour la chaîne de télévision locale de Barrancabermeja (Est) Enlace 10, a reçu par écrit des menaces de mort liées aux enquêtes qu'il a menées sur le processus de démobilisation des paramilitaires dans la région. Cette lettre indique qu'il est désormais une cible sous surveillance. Selon les propos de la directrice d'Enlace 10, Mónica Arcella, la chaîne a fait uniquement appel à des experts d'organisations civiles pour traiter le thème des démobilisations. Elle a précisé qu'Edison Núñez n'était pas en charge de la couverture du conflit armé.
Toujours à Barrancabermeja, Marco Perales, directeur de l'hebdomadaire La Portada, a reçu des menaces par courrier électronique dans la semaine du 6 au 12 mars.
Enfin, le 3 mars, selon Diro César González, directeur de La Tarde de Barrancadermeja, la petite soeur de Gladys Villamizar Rodríguez, dessinatrice pour ce quotidien, a été prise en otage par des inconnus à la sortie de l'école. Le message était clair : sa sœur doit abandonner ses activités de journaliste. Grâce à l'inattention de l'un des kidnappeurs, la jeune fille a réussi à s'échapper saine et sauve. La journaliste et sa soeur ont fui la région.