Il y a cinq ans jour pour jour, l'Erythrée se fermait au monde. Le 18 septembre 2001, alors que la planète avait encore les yeux braqués sur les attaques terroristes contre New York et Washington, le président Issaias Afeworki "suspendait" la presse privée. Au moins 13 journalistes ont disparu dans les geôles du pays.
Il y a cinq ans jour pour jour, l'Erythrée se fermait au monde. Le 18 septembre 2001, alors que la planète entière avait encore les yeux braqués sur les attaques terroristes contre New York et Washington, le président Issaias Afeworki "suspendait" la presse privée. Le 23, de grandes rafles commençaient. Aujourd'hui, des centaines d'opposants sont en prison. Au moins 13 journalistes ont disparu dans les geôles du pays. Reporters sans frontières marque cette triste date anniversaire en demandant aux journaux africains de publier, durant cette semaine, un texte évoquant l'un des plus grands drames politiques de ces cinquante dernières années sur le continent.Que faisiez-vous le 18 septembre 2001 ?
Sans doute étiez-vous, ce jour-là, encore sous le choc des attaques terroristes perpétrées une semaine plus tôt contre New York et Washington. Vous en parliez entre amis, au sein de la famille, avec vos collègues. Mais vous ne saviez pas qu'à la pointe est de l'Afrique, dans ce jeune et petit pays étiré le long de la mer Rouge, se déroulait l'un des plus grands drames politiques de ces cinquante dernières années sur le continent.
Le 18 septembre 2001, le président érythréen Issaias Afeworki ordonnait la "suspension" de l'ensemble de la presse privée, faisant taire en une journée tout ce que son pays comptait de voix indépendantes. Asmara, dont les chanteurs louaient jusque-là la douceur de vivre, se figeait de stupeur. Cinq jours plus tard, le 23 septembre, commençaient les rafles. En l'espace de quelques heures, la capitale était devenue un terrain de chasse pour la police politique. Les plus brillants journalistes du pays se terraient dans les caves. Les opposants ou les rivaux du chef de l'Etat étaient jetés dans des camions de la police et enfermés dans les cellules des commissariats de la ville. Certains ont eu le courage et l'énergie de fuir, à pied, jusqu'aux camps de réfugiés du Soudan. D'autres, comme le poète et dramaturge Fessehaye Yohannes, fatigué de vivre en animal traqué et solidaire de ses amis des rédactions libres, se sont livrés aux forces de sécurité. Comme le dit aujourd'hui un ancien directeur de journal, réfugié politique en Suède, "c'était la fin de tous nos espoirs". 18-23 septembre 2001, une semaine noire dans l'histoire de la liberté de la presse en Afrique.
Que s'était-il donc passé pour que l'Erythrée, indépendante depuis une dizaine d'années, bascule ainsi dans le noir absolu ? Le Président avait promis des élections, mais aucune n'avait eu lieu. Le Président avait promis les libertés civiles et politiques, mais la police s'en prenait à tout le monde, au moindre prétexte. Alors que la deuxième guerre avec l'Ethiopie s'achevait à peine, la presse indépendante avait relayé les appels à la démocratisation du pays de quinze hauts responsables du parti au pouvoir, connus sous le nom de "groupe des 15". Mais le 18 septembre 2001, il y a cinq ans, tout cela a cessé d'un coup.
Depuis cette date, plus rien ne bouge en Erythrée sans que le président Issaias Afeworki ne soit au courant. Il n'existe plus aucune publication indépendante. Pour s'informer, la population ne dispose que des médias gouvernementaux, de style soviétique, et des quelques radios étrangères captées à Asmara.
En plus des centaines d'opposants, treize journalistes croupissent quelque part, au secret, dans les geôles du pays. Ils s'appellent Dawit Isaac, Fessehaye Yohannes, Yusuf Mohamed Ali, Mattewos Habteab, Dawit Habtemichael, Medhanie Haile, Temesgen Gebreyesus, Emanuel Asrat, Said Abdulkader, Seyoum Tsehaye, Hamid Mohamed Said, Saidia Ahmed et Saleh Al Jezaeeri. Les quelques Erythréens qui ont pu fuir le pays, après avoir été libérés de prison, font état de conditions de détention effroyables. Des prisonniers sont enfermés dans des containers en métal, posés dans les enceintes des camps militaires. Certains sont torturés. On leur verse du mercure dans l'oreille. Aucun d'entre eux n'a eu droit à un procès, à un avocat ou à une visite. On ignore s'ils sont encore en vie. Le gouvernement érythréen répète chaque année qu'ils sont des "traîtres à la patrie" ou des "espions de l'Ethiopie". Il paraît que des parlementaires préparent depuis 2001 un rapport sur leurs "crimes".
Le gouvernement érythréen n'écoute plus personne. Personne ne parvient à lui faire entendre raison. Seule l'opinion publique internationale a suffisamment de puissance pour y parvenir.