Quand Pékin impose sa propagande hors de ses frontières
Alors que le président chinois Xi Jinping est en visite officielle aux Etats-Unis à partir du 22 septembre 2015, Reporters sans frontières (RSF) dénonce la politique d’exportation du modèle chinois de censure et de contrôle de l’information aux quatre coins du globe, un succès que Pékin souhaite garder discret.
“Le combat pour la liberté de l'information et de la presse en Chine ne se limite plus à la défense des journalistes et des net-citoyens censurés, harcelés ou détenus, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières. De plus en plus, la Chine mène une guerre contre la liberté d’information hors de son territoire. Le succès de cette “exportation” du combat pour une information libre est notamment dû à la passivité des Etats occidentaux, trop occupés à vouloir commercer avec le géant économique. La communauté internationale s’est battue dans le passé pour faire changer la Chine. La situation a désormais basculé : nous devons résister pour éviter que la Chine ne nous muselle et n’impose sa propagande hors de ses frontières. Il est urgent de réagir.”
Depuis plusieurs années, la Chine poursuit sans relâche son objectif, pas tout à fait officiel, d’établir un nouvel ordre mondial de l’information dans lequel elle occuperait une position centrale et aurait le pouvoir de façonner l’opinion à sa guise. Ce but et la stratégie pour y parvenir avaient été mentionnés par Li Congjun, président de l’agence de presse chinoise Xinhua jusqu’en 2014 et membre actuel du comité central du Parti communiste chinois, dans une tribune publiée en 2011 par The Wall Street Journal, aspirant à l’établissement d’un “nouvel ordre mondial des médias” (cf : Toward a New World Media Order).
En débutant sa visite d’une semaine aux Etats-Unis par une étape à Seattle, au cours de laquelle il a rencontré les géants américains Microsoft, Apple et Amazon, Xi Jinping - qui se trouve être à la tête du Central Leading Group for Internet Security and Informatization, un organe affilé au Comité central du Parti - a affiché sa volonté de s’imposer sur le front des nouvelles technologies de l’information.
Cette stratégie s’est déclinée sous différentes formes ces cinq dernières années. La Chine est à l’origine du World Media Summit, un rassemblement des leaders du monde des médias, qualifié de “Jeux olympiques des médias” - inutile de rappeler à quel point la relation entre Pékin et les JO est intime - et entièrement conçu, organisé et financé depuis 2009 par l’agence officielle Xinhua. Il en va de même pour la World Internet Conference lancée en 2014 et hébergée par la Chine, dont l’accent est porté sur la dimension business du Net. Du 19 au 21 novembre 2014, un millier d'entrepreneurs d'une centaine de pays différents ont défilé à Wuzhen, dont certains leaders mondiaux du secteur des technologies de l'information et de la communication. Même Facebook était représenté, et ce alors que le réseau social est interdit d'accès sur le territoire chinois. Les autorités, ne reculant devant aucune contradiction, avaient pour l’occasion levé la censure à Wuzhen même, permettant aux visiteurs étrangers d'utiliser les réseaux sociaux et de publier des vidéos sur YouTube. Bien évidemment, pas un mot sur la centaine de journalistes et de net-citoyens qui continuent de croupir au fond des geôles chinoises pour avoir tenté de briser le blocus de l'information en ligne.
En infiltrant cet ordre mondial naissant de l’information et des médias par le biais économique - rachat de parts de médias, partenariats - la Chine s’assure une assise et une légitimité qui lui permettront par la suite de filtrer encore plus efficacement les informations sensibles la concernant ou critiques à l’encontre de ses dirigeant et du Parti. Elle profite ainsi de l’attractivité de son marché pour séduire les entreprises étrangères du Net qui, désireuses d’intégrer ce nouvel eldorado, n’hésiteront pas à affranchir la Chine de certaines “contraintes” concernant la liberté d’information.
De nouveaux exemples des efforts considérables déployés par Pékin pour exporter son modèle et façonner l’information à l’extérieur de ses frontières semblent voir le jour à un rythme croissant.
En Inde, le gouvernement de Narendra Modi a annoncé en mars 2015 son intention d’ouvrir une université de journalisme à l’image de la Communication University of China, qui inculque aux jeunes aspirant journalistes l’angle du Parti et est présidée par d’anciens membres du Département de la propagande.
En septembre 2014, la Deutsche Welle a annoncé son intention d’établir un partenariat avec le groupe national CCTV, qui est un pilier fondamental de la propagande étatique chinoise. L’accord comprend un contrat de partage de contenus afin d'accroître le rayonnement du groupe allemand en Chine. Quelques mois plus tôt, la journaliste Su Yutong, blogueuse chinoise exilée en Allemagne et collaboratrice du média depuis 2010 était “remerciée” par la DW. Bien que la raison officielle fournie par la radio soit la divulgation illégale d’informations à usage interne, les commentaires de la journaliste sur la politique de la chaîne pourraient être à l’origine de la décision de la DW. Selon Su Yutong, l’arrivée de Peter Limbourg à la direction de la chaîne serait à l’origine de l’auto-censure sur les sujets relatifs à la Chine. Finalement, le média fera marche arrière quelques mois plus tard et mettra un terme à sa coopération avec CCTV.
En juillet 2014, Baidu, fer de lance de la censure du Net à la chinoise, pénétrait le marché brésilien avec le lancement d’une version portugaise, Busca. Le Brésil est ainsi devenu le second pays étranger, après le Japon, à “bénéficier” des services du moteur de recherche chinois. Les effets ne se sont pas faits attendre, puisqu’il s’est rapidement avéré que les résultats de recherche concernant Tian’anmen, Tankman ou le Falun Gong étaient purgés de tout contenu “sensible” et relayaient abondamment les contenus produits par le Quotidien du Peuple en ligne. Cette censure “extra-territoriale” aurait disparue après les protestations de nombreux internautes au Brésil et dans le reste du monde.
La victoire du géant du Net chinois Baidu lors d’une class action menée aux Etats-Unis en 2014 a marqué un pas décisif dans la progression internationale de la censure chinoise. L’affaire Zhang v. Baidu.com Inc. opposait le moteur de recherche chinois à un groupe de militants pro-démocratie américains qui l’accusaient de supprimer illégalement les contenus traitant de la démocratie en Chine afin de les rendre inaccessibles aux internautes basés aux Etats-Unis. Dans son verdict rendu le 28 mars 2014, la Cour a considéré que Baidu faisait usage de son “appréciation éditoriale” en décidant quels contenus étaient publiés par le moteur de recherche, renforçant ainsi l’immunité de Baidu.
L’influence des autorités chinoises à l’étranger pourrait également se faire sentir au sein des cercles universitaires américains. Selon le célèbre avocat et dissident chinois Chen Guangcheng, la New York University, qui l’abritait avec sa famille depuis son exil en mai 2012, les aurait forcés à quitter son campus suite à des pressions venant de la Chine. Une décision que certains médias ont liée à l’ouverture en 2013 d’un campus de la NYU à Shanghaï dans le cadre du programme Global Network University.
Les démocraties ne sauraient rester passives face à de telles offensives. Elles ont pour devoir, aux regard de leurs propres principes, de défendre la liberté de l'information et la lutte contre la censure et de s'opposer à l'influence croissante de la Chine. En particulier lorsque ce pays classé 176ème sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2015 cherche à exporter ses pratiques liberticides dans d'autres pays du globe.