Protection des journalistes face aux procédures-bâillons : une directive européenne prometteuse, la transposition par les États membres doit être ambitieuse

L’accord trouvé entre le Parlement européen et le Conseil de l’Union européenne (UE) sur la directive contre les procédures-bâillons (anti-SLAPP) est un pas en avant important pour protéger les journalistes contre les plaintes abusives destinées à les faire taire. Reporters sans frontières (RSF) demande aux États membres d’être à la hauteur de l’enjeu en transposant de manière ambitieuse la directive dans leur droit national.

Les ambassadeurs des États membres ont validé, ce 18 décembre, l’accord trouvé le 30 novembre entre les négociateurs du Parlement européen et du Conseil de l’UE sur la directive contre les procédures-bâillons, aussi connues sous l’acronyme anglais de SLAPP (Strategic Lawsuits Against Public Participation). Cet accord marque une avancée significative dans la lutte contre les procédures judiciaires abusives qui visent à intimider et à faire taire les journalistes.

La directive pose des garanties procédurales qui, tout en respectant le droit fondamental d’accès à la justice, doivent permettre de rejeter rapidement les plaintes “manifestement infondées” et sanctionner les auteurs de SLAPP, tout en dissuadant d’autres d’y avoir recours.

Les victimes de SLAPP pourront être indemnisées pour les dommages subis et les tribunaux pourront obliger le demandeur à prendre en charge tous les frais de procédure, y compris la représentation juridique du défendeur. Les tribunaux seront en mesure d’imposer des “sanctions efficaces, proportionnées et dissuasives” aux demandeurs.

Le texte prévoit aussi que les victimes des poursuites-bâillons aient accès à des informations complètes sur les mesures d’aide, y compris d’ordre financier, juridique et psychologique via un centre d’information dédié.

S’agissant des procédures-bâillons en dehors de l’UE, les pays européens devront veiller à ce que les décisions rendues par des pays tiers à l’encontre de personnes ou d’organisations domiciliées dans l’UE ne soient pas reconnues. Ces dernières pourront demander réparation des coûts et dommages-intérêts connexes devant leur juridiction nationale.

“Avec cette directive, l’Union européenne marque sa volonté de protéger les journalistes face à ceux qui cherchent à instrumentaliser la justice pour les faire taire. Toutefois, il est essentiel pour que les journalistes soient pleinement protégés que les États membres étendent les garanties procédurales prévues dans la directive aux procédures pénales et aux cas nationaux. De telles mesures sont en effet indispensables pour que les journalistes puissent continuer à travailler et pour protéger le droit à l’information.

Julie Majerczak
Représentante de RSF auprès de l’UE

La directive comporte en effet deux limites conséquentes mais inhérentes à la répartition des compétences entre l’UE et les États membres : la directive ne peut pas s’appliquer aux cas strictement nationaux, ni aux plaintes au pénal. 

Or cela représente un nombre important de SLAPP, notamment en France où la diffamation est un délit pénal. Les États membres peuvent toutefois décider d’appliquer les mesures de la directive aux cas nationaux et aux procédures pénales lors de sa transposition dans le droit national. Ils disposent d’un délai de deux ans, à compter de la date du vote formel du texte par le Parlement européen et le Conseil de l‘UE.

Les journalistes sont de plus en plus régulièrement poursuivis en justice de manière abusive. Lorsque la journaliste maltaise Daphne Caruana Galizia a été assassinée en octobre 2017, elle faisait face à 47 plaintes en justice, notamment pour diffamation. La Pologne a été identifiée en 2023 comme le pays européen où le nombre de procédures-bâillons est le plus élevé, selon le rapport de la coalition contre les SLAPP en Europe (CASE). Un des plus grands quotidiens polonais, Gazeta Wyborcza, fait actuellement face à des dizaines de menaces de poursuites judiciaires, notamment de la part des responsables de l’ancien parti au pouvoir PiS. 

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