Procès Assange : les dysfonctionnements d’une procédure de demande d’extradition

Pendant quatre semaines, Reporters sans frontières (RSF) a assisté aux audiences pendant lesquelles a été examinée la demande d’extradition du fondateur de Wikileaks, Julian Assange, vers les Etats-Unis. Compte tenu des différents témoignages qui ont mis en avant la nature politique du dossier, et des inquiétudes concernant la santé physique et mentale de Julian Assange mais aussi des nombreux dysfonctionnements qui ont marqué les procédures, RSF appelle à nouveau à sa libération. La justice britannique rendra sa décision le 4 janvier 2021.

Seule ONG présente lors des audiences qui se sont tenues au Tribunal pénal central de Londres du 7 septembre du 1er octobre 2020, et qui étaient consacrées à la présentation des éléments permettant de justifier ou de rejeter la demande d’extradition de Julian Assange, RSF a été en mesure d’observer et de recenser les différents obstacles et dysfonctionnements qui ont émaillé cette phase de la procédure judiciaire.



“Nous sommes extrêmement préoccupés par ce que nous avons pu observer lors de ces audiences, déclare la directrice des campagnes internationales de RSF, Rebecca Vincent. Nous sommes convaincus que Julian Assange est poursuivi pour ses contributions au journalisme, et que cette affaire constitue en réalité une application politique de l’Espionage Act - ce qui, en soi, devrait empêcher son extradition. Nous avons aussi de sérieuses inquiétudes d’ordre humanitaire, son extradition pouvant être, pour lui, un enjeu de vie ou de mort. Enfin, les différents obstacles et dysfonctionnements qui ont rendu notre rôle d’observateurs quasi impossible à tenir sont inquiétants. Pour l’ensemble de ces raisons, nous réitérons notre appel à l’abandon des charges qui pèsent sur Julian Assange et à sa libération immédiate. C’est une évidence :  il ne doit en aucun cas être extradé aux Etats-Unis.”



Après avoir sévèrement restreint l’accès des médias et des ONG à l’audience, et avoir donné son autorisation pour un suivi par système vidéo, le tribunal est revenu sur sa décision dès le premier jour de l’audience, coupant la connexion dont bénéficiaient les ONGs - parmi lesquelles RSF et Amnesty International - et les observateurs politiques. Les rares personnes accréditées, dont la directrice des campagnes internationales de RSF, Rebecca Vincent, ont alors dû se plier au principe du “premier arrivé, premier servi” pour pénétrer dans l’espace réservé au public, où seules cinq places sur 36 étaient disponibles dans le cadre des mesures anti-Covid, en sachant que trois avaient été d’office réservées à des diplomates qui n’en avaient pas été notifiés. 



A l’intérieur de cet espace, les observateurs n’avaient à leur disposition qu’un petit écran de télévision leur offrant une visibilité réduite des témoins, du juge et de Julian Assange, installé dans un box en verre au fond de la salle d’audience. Difficile, dès lors, pour les observateurs de mesurer sa capacité à entendre les procédures et à communiquer avec ses avocats, ou d’évaluer son état de santé physique et mental. A cela se sont ajoutées des défaillances techniques, notamment du système audio, qui s’est même totalement interrompu pendant l’audition d’un témoin.



Les témoins (44 pour la défense, 3 pour l’accusation) ont apporté un éclairage sur nombre d’aspects du dossier, des motivations de la demande d’extradition à l’état physique et mental de Julian Assange, en passant par les circonstances dans lesquelles les documents Wikileaks ont été publiés et ce qui attend son fondateur s’il est extradé aux Etats-Unis.



Il est à noter que les autorités américaines ont échoué à démontrer que Julian Assange avait fait courir des risques physiques à ses sources. Le témoignage de Khaled El-Masri, qui a été enlevé puis torturé dans un centre de détention de la CIA,  a même mis en évidence le contraire, puisque c’est grâce à Wikileaks qu’il a pu dénoncer ces faits et engager des poursuites judiciaires. Un autre témoignage crucial a été celui du lanceur d’alerte Daniel Ellsberg, qui a dénoncé la nature politique de l’affaire et, par là, le fait que le fondateur de Wikileaks était privé du droit à un procès équitable - une position partagée, entre autres, par le linguiste et activiste politique Noam Chomsky, dont la déclaration a été lue devant le Tribunal. Quant à l’état de santé de Julian Assange, le professeur Michael Kopelman, parmi d’autres spécialistes, a insisté sur l’urgence humanitaire que constitue sa libération, tandis qu’une ancienne employée du Bureau fédéral des prisons américain, Maureen Baird, a dressé un tableau effrayant des conditions inhumaines qui attendent Assange s’il est soumis aux mesures administratives spéciales lors de sa détention aux Etats-Unis.



A l’issue des audiences consacrées à l'examen des éléments permettant de justifier ou de rejeter la demande d'extradition, le juge a accordé quatre semaines à la défense pour soumettre sa plaidoirie, et l’accusation aura deux semaines pour y répondre. La décision concernant l’extradition devrait finalement être rendue lors d’une audience au Tribunal pénal central de Londres le 4 janvier 2021 à 10 heures.



D’ici là, la pétition #FreeAssange, cible d’une attaque d’un spambot, reste ouverte pour signature. RSF tentera à nouveau de la remettre au Premier ministre britannique avant l’audience du 4 janvier, suite à son refus de la réceptionner en mains propres le 7 septembre dernier. L’organisation reste mobilisée et poursuivra sa campagne en faveur de la libération de Julian Assange. RSF continuera également d’observer ce procès.



Les Etats-Unis et le Royaume-Uni occupent respectivement la 45e et la 35e place dans le Classement mondial pour la liberté de la presse établi par RSF en 2020.



La totalité du rapport d’observation de la directrice des campagnes internationales de RSF, Rebecca Vincent, est disponible dans sa version anglaise. 

Publié le
Mise à jour le 09.10.2020