Le 25 mars dernier, lors d’une
conférence de presse, le général Prayut Chan-o-cha, chef du Conseil national pour la paix et l’ordre et Premier ministre, répond à une question sur les mesures qu’il envisage face aux journalistes qui ne suivent pas la ‘ligne officielle’ : “Nous les exécuterons probablement », affirme-t-il sur ton sans équivoque.
Sa vision du journalisme, le Premier ministre l’avait partagée à la presse quelques semaines plus tôt. Le 5 mars, « Journée des reporters » dans le pays, Prayut Chan-o-cha
avait expliqué que les journalistes devaient : « jouer un rôle important en soutenant les actions du gouvernement, entraînant de manière concrète une compréhension des politiques de ce dernier par le public, et ainsi réduire les conflits dans la société ».
A l’encontre de ceux qui n’adhèrent pas à sa politique et se prémunissent du droit fondamental de la critiquer, Prayut Chan-o-cha conduit une répression tous azimuts. Depuis l’instauration de la loi martiale en mai 2014, le Premier ministre muselle journalistes, médias, blogueurs, mais aussi artistes, intellectuels, et universitaires, membres de l’opposition politique et plus généralement tous ceux qu’il juge trop critique à son égard et à celui de la junte. Au cours des dernières semaines, la surenchère d’interventions publiques toujours plus hostiles les unes que les autres à l’égard de la presse a révélé au monde entier le mépris total du Premier ministre pour la liberté de l’information et ses défenseurs, qu’il considère comme une menace contre le pays.
Propagande et menaces
Pour proférer ses menaces à l’encontre de la presse, le Premier ministre a instauré la diffusion hebdomadaire d’une émission télévisée intitulée «
Rendre le bonheur au peuple », titre d’une chanson composée par le général lui-même et diffusée dans tout le pays. Il y présente la politique du gouvernement, et livre par ailleurs ses critiques concernant les dernières nouvelles publiées dans la presse, voire interpelle directement les rédactions en les exhortant à davantage de « coopération ».
En septembre dernier, Prayut avait menacé de créer de nouvelles lois qui auraient des « inconvénients pour les journalistes, la presse, les stations de radio et les chaînes de télévision ». Le projet de loi sur la cyber-sécurité, présenté par le gouvernement en janvier dernier, ses discussions sur de nouvelles régulations de la presse audiovisuelle ou encore les
commentaires de Prayut sur l’instauration d’examens pour les journalistes, sont les premiers signes d’une mise à exécution de ces menaces.
Lorsqu’ils lui souhaitent un joyeux anniversaire, les journalistes peuvent espérer un bon mot ou des vœux de bonne entente de la part du général, mais lorsqu’ils font preuve d’indépendance, en mettant à jour des scandales et des violations graves des droits de l’homme, la réaction de l’homme fort du pays est toute autre. Le 25 mars dernier, il a accusé
Thapanee Iestsrichai, journaliste d’investigation de renom et reporter pour
Channel 3, d’avoir porté préjudice à l’économie thaïlandaise en révélant le trafic humain qui touche l’industrie de la pêche. Après avoir enquêté sur l'île indonésienne de Benjina, la journaliste avait révélé l’existence de cimetières où reposent des centaines de ressortissants thaïlandais. Au lieu d’applaudir ce travail d’intérêt public, Prayut s’est
répandu en invectives contre la journaliste : « Qu'est-ce qui arrivera si nous rapportons ces informations de manière globale, parlant au monde entier de notre trafic et des problèmes de pêche illégale ? Et que (ndlr : se passera-t-il) s’ils arrêtent d'acheter notre poisson, qui représente 200 milliards de bahts ? En prendrez-vous la responsabilité ? »
Un contrôle toujours plus resserré
La junte de Prayut ne cherche pas seulement à contrôler la presse traditionnelle. Un projet de loi sur la cybersécurité a vu le jour au début de l’année, qui permettrait aux autorités d'exiger la coopération des fournisseurs d’accès à Internet dans le cadre de la surveillance des réseaux par le Conseil national pour la paix et l’ordre.
Sous couvert de « sécurité nationale », un prétexte utilisé quasi quotidiennement, comme le crime de lèse-majesté, pour justifier censure et arrestations d’internautes, le projet de loi autoriserait également la mise sous surveillance des communications électroniques dans tous le pays. En attendant, la police de la pensée sur Internet continue d'arrêter les acteurs de l’information, les cyber-activistes et les défenseurs des droits de l’homme. C’est le cas de l'avocat
Anon Numpa, défenseur de nombre de personnes inculpées de lèse-majesté et récemment accusé par l'armée d'avoir publié des points de vue hostiles à la junte, notamment sur Facebook.
Le 31 mars 2015, le général a
annoncé qu’il révoquerait la loi martiale, en vigueur depuis le coup d'Etat de mai 2014, pour la remplacer par un ordre judiciaire décrit dans l’article 44 de la Constitution intérimaire instaurée en juillet dernier. L’
article 44 donne les pleins pouvoirs au chef du Conseil national pour la paix et l’ordre, en indiquant qu’il peut “donner tous ordre ou conduire ou empêcher toutes actions, sans égard pour le fait que l’ordre ou l’action produise des effets législatifs, exécutifs ou judiciaires”.
Recommandations
Reporters sans frontières demande au Premier ministre de mettre un terme à sa politique liberticide et de favoriser un environnement favorable pour le travail de la presse et la circulation de l’information, y compris en ligne, en prenant notamment les mesures suivantes :
* Renoncer à l’instauration d’un régime en vertu de la Constitution intérimaire et en particulier à l’application de l’article 44 de la Constitution qui enlèverait toute protection pour la presse et permettrait un contrôle abusif de l’information.
* Renoncer à l’adoption de lois permettant la surveillance massive du Net et ne pas permettre la surveillance d’individus par l’instauration d’une nouvelle loi sur la cybersécurité.
* Cesser les convocations et arrestations de journalistes, blogueurs et autres acteurs de l’information sous couvert de “sécurité nationale” ou de “lèse-majesté
* Cesser de menacer la presse et les journalistes de représailles, d’inciter à l’autocensure massive des médias et d’interférer dans la ligne éditoriale ou tout autre aspect interne de l’activité de la presse.