Pologne : sous prétexte de protéger la sécurité nationale, une nouvelle commission d’enquête menace la liberté de la presse

La  nouvelle commission d’enquête instituée, censée protéger la sécurité nationale de l’influence russe, pourrait être instrumentalisée contre les journalistes critiques du pouvoir à l’approche des prochaines élections législatives. Reporters sans frontières (RSF) demande à la Commission européenne et au Parlement européen d’empêcher la Pologne de basculer dans une chasse aux sorcières.


Mise à jour du 8/06/23 : Ce 8 juin, la Commission européenne a engagé une procédure d'infraction contre la Pologne pour violation, entre autres, du "principe de démocratie" par la nouvelle loi sur l'influence russe. Si la décision n'est pas directement motivée par une menace à la liberté de la presse, RSF se félicite de la réaction rapide de l'exécutif européen. La liberté des médias est indispensable pour la tenue d'élections libres en automne prochain. 


La loi promulguée le 29 mai dernier par le président Andrzej Duda, et votée par l’Assemblée nationale polonaise trois jours plus tôt, institue une commission d’État chargée d'enquêter sur l'influence russe sur la sécurité intérieure de la Pologne entre 2007 et 2022. Composée de neuf membres élus par le Parlement, dotée de vastes pouvoirs et échappant à un réel contrôle judiciaire, cet organe constitue une nouvelle menace sur le droit d’informer sous le motif de protéger la sécurité nationale. 

S'affranchissant des garanties de protection de la liberté de la presse, cette commission sera compétente pour enquêter sur “les médias de masse”. Elle pourra convoquer les journalistes et lever le secret professionnel, dont la confidentialité des sources. La commission aura par ailleurs le pouvoir de demander aux autorités judiciaires d’engager des poursuites pénales ou disciplinaires contre les personnes identifiées comme étant sous influence russe, et de leur imposer une peine d’inéligibilité de dix ans. 

Si le chef de l’opposition polonaise Donald Tusk craint que l’objectif caché de cette nouvelle loi surnommée la “lex Tusk” soit de l’empêcher d’occuper un poste d’élu à l’issue des prochaines élections législatives à l’automne, elle est sans aucun doute une nouvelle épée brandit au-dessus de la liberté de la presse dans le pays. Le chef de l’État, issu du parti au pouvoir, a promis de soumettre la loi au Conseil constitutionnel et a même annoncé des amendements. Cependant il n’a pas la compétence de les adopter et la législation est déjà entrée en vigueur.

"L’objectif légitime de protéger la sécurité nationale ne saurait être un prétexte pour intimider les journalistes critiques du pouvoir. Tant que la commission d’enquête sur l’influence russe ne sera pas clairement soumise au principe de la confidentialité des sources et à un contrôle judiciaire efficace, le risque d’une chasse aux sorcières est à craindre. Cette nouvelle loi remet en cause la liberté de la presse, une des valeurs démocratiques chères à la Pologne au nom desquelles elle est au premier plan des pays européens dans l’aide à l’Ukraine agressée par la Russie. Nous appelons la Commission européenne et le Parlement européen à examiner la loi sous cette optique et prendre une position ferme.

Pavol Szalai
Responsable du bureau UE-Balkans

Contacté par RSF, le porte-parolat du gouvernement polonais assure que la commission est “démocratique” et que “toute activité de la commission sera soumise à un contrôle judiciaire”. Pourtant, les décisions de la commission ne sont contestables que devant un tribunal administratif et sur les aspects procéduraux. Il n’est pas certain que la procédure déterminée par la loi garantisse une protection efficace du secret journalistique. 

Et l’on s’attend déjà à des convocations des professionnels de médias. “Beaucoup de journalistes, qui sont soumis à une certaine influence russe dans leurs activités, devraient comparaître [devant la commission] a déclaré le ministre adjoint de la Défense, Wojciech Skurkiewicz. 

Les journalistes en ligne de mire

Le chef du parti au pouvoir Droit et justice (PiS), Jaroslaw Kaczynski, a laissé entendre que la nouvelle instance viserait les journalistes des médias indépendants du pouvoir. Lorsque Mateusz Grzymkowski de la chaîne d’information TVN24 lui a demandé, le 27 mai dernier, s’il faisait confiance au ministre de la Défense après l’identification des débris d’une missile russe quatre mois après son écrasement sur le territoire polonais, Jaroslaw Kaczynski a accusé le journaliste d’être “un représentant du Kremlin, car il n’y a que le Kremlin qui veuille que ce gentleman cesse d’être ministre de la Défense”.  

Ce type d’attaques consistant à jeter le doute sur la probité d’un journaliste et à ruiner sa réputation, pour lequel la commission pourrait être une nouvelle arme, est déjà récurrent, tout comme les procédures judiciaires. Mateusz Grzymkowski n’est pas le premier journaliste attaqué par le PiS et ses proches, alors qu’il ne fait que pointer les failles dans la sécurité de l’État polonais. Bien qu’il enquête sur la propagande du Kremlin en Pologne, le journaliste d’investigation Tomasz Piatek ne cesse de faire l’objet de procédures abusives et de verdicts arbitraires portant atteinte à ses droits

Si le gouvernement polonais souhaite lutter davantage contre la propagande russe dans les médias, il devrait apporter son soutien au système de protection des espaces informationnels démocratiques, conçu par RSF, auquel font désormais référence deux rapports du Parlement européen. Respectueux de l’état de droit, ce dispositif permet d’empêcher le risque d'une dérive sécuritaire qui, à l’ombre de la guerre en Ukraine, menace la liberté de la presse en Europe.

La Pologne se situe à la 57e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2023.

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