Ouzbékistan : pressions contre une journaliste accusée à tort d’avoir diffusé une fausse information

La rédactrice en chef du média en ligne Kar24.uz a été convoquée dans la nuit du 25 au 26 juillet au bureau du procureur du Karakalpakistan, république autonome d’Ouzbékistan. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une tentative d’intimidation des autorités locales.

Accusée d’avoir partagé une information fausse au sujet de la mort de Moussa Erniazov, le président du Parlement du Karakalpakistan et vice-président du Parlement ouzbek, la journaliste Koumar Begniazova a dû se rendre en pleine nuit au bureau du procureur, avec son enfant, pour expliquer son “erreur”. Or, non seulement elle n’a pas diffusé cette information, mais elle a -au contraire- pris soin de publier un démenti de l’information erronée sur sa chaîne Telegram après vérification auprès du service de presse du Parlement local. La journaliste, qui n’a reçu aucune explication au sujet de cette convocation nocturne, présume que les enquêteurs ont confondu son média avec un autre, au titre similaire, qui avait partagé la nouvelle de la mort du sénateur.


Deux autres journalistes qui eux, dans la précipitation, avaient publié l’information sans la vérifier auprès des autorités, ont également été contraints de se présenter en pleine nuit au bureau du procureur. Pas moins de six voitures des forces de l’ordre sont venues chercher Lola Kallikhanova, rédactrice en chef de Makan.uz. L’un des agents en civil lui a arraché son téléphone des mains et aucun d’entre eux ne s’est présenté ou n’a montré de pièce d’identité. Interrogée pendant plus de trois heures, elle a expliqué que le manque de fiabilité des sources officielles et l’accès restreint à l’information sur l’épidémie de coronavirus pousse les journalistes du Karakalpakistan à s’en méfier. 


En effet, début juillet, le service de presse du Parlement local avait démenti que le sénateur ait contracté le coronavirus, avant que la contamination ne soit finalement officialisée treize jours plus tard. Auteure de nombreux articles sur les décès liés au Covid-19 dans la république, la journaliste estime que cette convocation inopinée n’était qu’un prétexte pour accéder à son téléphone et ses sources. 


Iskandar Yusupov, qui avait lui aussi partagé l’article de Repost.uz annonçant la mort du sénateur sur la chaîne Telegram de son média Kruz.uz, a raconté qu’une voiture était venue le chercher vers minuit pour l’emmener au bureau du procureur. Retenu jusqu’à 3h30 du matin, il s’est vu confisquer illégalement son téléphone et son ordinateur portable.


« Ces méthodes d’interpellation disproportionnées ne font pas de doute sur les intentions des autorités, déterminées à intimider les journalistes, souligne la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale, Jeanne Cavelier. Cette affaire révèle les difficultés d’accès à l’information au Karakalpakistan, qui entravent le travail des journalistes, particulièrement dans le contexte de l’épidémie de Covid-19. Le manque de transparence des autorités sur la situation favorise la propagation des rumeurs. RSF condamne fermement les conditions de ces interrogatoires, demande que ces abus soient sanctionnés et appelle les autorités de la république autonome à cesser leurs pressions et à améliorer leur communication auprès des journalistes. »


Dans la matinée suivant les interpellations, le bureau du procureur a annoncé l’ouverture d’une enquête pour diffusion dans les médias d'informations trompeuses sur la propagation d’infections à risque pour l'homme. Un délit qui fait encourir de 4000 à 8000 euros d’amende et jusqu’à trois ans de prison depuis l’adoption en mars 2020 de l’article 244-5 du Code pénal ouzbek, dont les contours flous risquent de nuire à la liberté de la presse dans le pays. Les suites de l'enquête pénale sont incertaines, l’agence de presse officielle uza.uz ayant finalement annoncé la mort du sénateur, ce 31 juillet.


L’adjointe au procureur général ouzbek et l’Agence ouzbèke de l’information et des communications de masse ont toutes deux condamné les actions du bureau du procureur du Karakalpakistan, insistant cependant sur l’importance pour les médias de vérifier les informations qu’ils publient.


Le Karakalpakistan est la seule région autonome d’Ouzbékistan. Par crainte des mouvements insurrectionnels et séparatistes, Tachkent limite l’accès aux informations liées à la mort de hauts responsables du Karakalpakistan qui lui sont fidèles et qui maintiennent un contrôle étroit sur la région. 


L’Ouzbékistan occupe la 156e place sur 180 pays au Classement 2020 de la liberté de la presse, établi par RSF.

Publié le
Updated on 04.08.2020