Ouzbékistan : le journalisme karakalpak meurt à petit feu

Deux ans après des manifestations au Karakalpakstan violemment réprimées par le pouvoir central, le sujet reste tabou et les journalistes qui osent rappeler les faits sont arrêtés au nom de la lutte contre le “séparatisme”. Reporters sans frontières (RSF) condamne les exactions commises par Tachkent qui menacent de faire de cette région un “désert de l’information”.

Depuis les violentes manifestations du 1er au 3 juillet 2022 à Noukous, capitale de la république autonome du Karakalpakstan en Ouzbékistan, le silence règne sur ces événements tragiques. Sur place, de rares médias et youtubeurs indépendants continuent de publier des informations sur les sujets économiques et environnementaux, afin d’attirer l’attention sur les problèmes de développement chronique de cette région. 

Mais ces publications déplaisent au pouvoir de Tachkent, la capitale située à plus de 1 000 kilomètres, qui l’interprète comme une critique détournée de son autorité. Les affaires concernant Moustafa Toursynbaïev et Salamat Seitmouratov l’illustrent. L’appel judiciaire de leur condamnation à cinq ans de prison pour “extorsion”“corruption” et “escroquerie” doit se tenir le 8 juillet prochain. Ces deux youtubeurs, respectivement pour les chaînes d’information Noukous-Online N1 (plus de 150 000 abonnés) et Halyk TV (près de 50 000 abonnés), enquêtaient sur la déforestation illégale de masse au profit de la riziculture. Signe du verrouillage des autorités sur le journalisme dans la région, RSF n’a été en mesure de confirmer leur arrestation que fin juin, alors qu’ils avaient disparu des réseaux à l’automne dernier. 

Au moins trois autres journalistes ont été condamnés ces deux dernières années en raison de leur travail. Abdimalik Khojanazarov, le rédacteur en chef d’un des rares médias indépendants locaux, Iel Khyzmetinde, a écopé, le 17 mars 2023, de cinq ans d’assignation à résidence et de 230 millions de soums d’amende (environ 17 000 euros), tout comme le journaliste environnemental du quotidien IchontchEssimkhan Kanaatov. Les deux journalistes ont été jugés avec 26 co-accusés pour “incitation et organisation d’émeutes de masse” et “production et distribution de contenu présentant une menace à la sécurité publique”. 

Arrêté alors qu’il couvrait la manifestation du 1er juillet 2022 à Noukous, Bakhtiyar Kadirberguenov a quant à lui passé six mois en détention provisoire avant d’être condamné à sept ans de prison pour “organisation d’émeutes de masse avec armes” et “hooliganisme et résistance à un représentant de l’autorité publique”. Sa peine sera finalement réduite à cinq ans en appel, le 5 juin 2023. Tous les contenus de sa chaîne YouTube ont été effacés.

“La mission d’informer au Karakalpakstan est assimilée par le pouvoir ouzbek à l’organisation d’émeutes. Le journalisme indépendant dans cette région autonome a presque été réduit à néant par la répression menée depuis deux ans. RSF s’alarme de cette chape de plomb sur un sujet d’intérêt général et de la criminalisation du travail des journalistes, qui doivent être immédiatement libérés.

Jeanne Cavelier
Responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF

En dehors du Karakalpakstan, les journalistes ouzbeks qui tentent d’informer sur les manifestations, leurs racines et leurs conséquences sont également visés. Après plus de six mois en détention provisoire, Lolagul Kallykhanova a été condamnée le 31 janvier 2023 à huit ans de prison avec sursis, dont trois fermes pour “complot pour prendre le pouvoir ou renverser l'ordre constitutionnel, organisation d'émeutes de masse accompagnées de violence et diffusion de contenus socialement dangereux avec complot préalable par un groupe de personnes utilisant Internet”. La journaliste britannique Joanna Lillis, correspondante du site d’information sur l’Asie centrale Eurasianet ou encore de l’hebdomadaire britannique The Economist, avait également été interpellée le 3 juillet 2022 et contrainte d’effacer les images qu’elle avait prises.

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