Ordonnance de confidentialité en Australie : la double peine pour des dizaines de journalistes menacés de prison
Un courrier du parquet de l’Etat de Victoria, en Australie, a été envoyé à une centaine de journalistes soupçonnés d’outrage à la court pour avoir révélé des informations dans le procès du cardinal Pell, accusé d’agressions sexuelles. Ces journalistes, si ils sont reconnus coupables, encourent des peines de prison ferme. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une grave entrave à la liberté de la presse.
Dans le cadre de la couverture du procès du cardinal Pell, près d’une centaine de journalistes, éditeurs, et reporters de groupes de presse australiens ont reçu, début février, un courrier du parquet de l’Etat de Victoria (sud-est de l’Australie). Ce courrier dénonce la violation par ces journalistes d’une ordonnance de confidentialité concernant le verdict dans le procès du cardinal, en décembre 2018. En effet, selon cette ordonnance datant du 25 juin 2018, les journalistes ayant assisté au procès avaient pour instruction de ne dévoiler aucun détail relatif à celui-ci pour ne pas influencer le verdict d’un second procès impliquant ce même cardinal pour des accusations tout aussi graves d’agressions sexuelles.
Pour n’avoir pas respecté l’ordonnance et avoir publié des informations relatives au jugement, les journalistes sont menacés de peines de prison si ils ne font pas “amende honorable”. En effet, ce courrier demande aux journalistes de “prouver leur bonne foi” et d’établir qu’ils n’ont pas violé l’ordonnance en publiant des informations sur le procès et n’avaient pas la volonté de nuire au bon déroulement du second. Dans le cas contraire, ils pourront être condamnés à des peines de prison.
"Cette ordonnance instaure une sérieuse limite à la liberté de la presse en censurant les journalistes sur des informations pourtant d’intérêt général, déclare RSF. Or, que les journalistes puissent en plus de cela être poursuivis et condamnés à des peines de prison pour avoir enfreint cette loi est non seulement une aberration, mais une double peine pour eux. Quelle que soit leur responsabilité dans cette affaire de révélations, il n'est pas pensable que la justice australienne puisse les menacer de prison. Cette sanction, si elle était appliquée, serait tout à fait disproportionnée et viendrait gravement ternir l'image de l'institution judiciaire.”
“CENSURÉ”
Cette ordonnance de confidentialité est en effet jugée trop restrictive par de nombreux médias australiens. La couverture du Herald Sun, en décembre dernier, affichait ainsi une page noire avec pour seule phrase en lettres blanches: “CENSURÉ”. Interrogé par RSF, Paul Murphy, directeur général de la Media, Entertainment and Arts Alliance (MEEA) australienne, explique : “Les ordonnances de confidentialité sont des outils datant du 19e siècle créés aux temps de la presse papier. Ils sont incapables de répondre aux enjeux des plateformes tel que Twitter et Facebook, qui ne connaissent évidemment pas de frontières. Il est impossible d'isoler des jurés des réseaux sociaux ou encore d’empêcher des médias nationaux comme internationaux de rapporter des faits disponibles sur des moteurs de recherche à l’étranger. C’est pourquoi la MEEA dénonce depuis longtemps l’usage excessif de ces ordres de confidentialité, particulièrement dans l’Etat de Victoria.”
Sous pression, les médias concernés par le courrier ont peu commenté le sujet, laissant à penser que la tentative de dissuasion du parquet entraînait un dangereux "chilling effect" au sein de la presse australienne.
L’Australie se positionne à la 19ème place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF.