Nigeria : Dégradation de la liberté de la presse entre arrestations arbitraires et menaces de fermeture de radios

53 stations de radios publiques et privées sont menacées de fermeture au Nigeria. Une menace qui se conjugue avec d’autres. En trois mois, Reporters sans frontières (RSF) a dénombré une quinzaine d’arrestations et d’interpellations de journalistes et au moins cinq cas d’agressions. L’organisation s’inquiète de ce recul de la liberté de la presse et enjoint les autorités à assurer la sécurité des journalistes.

Mise à jour 02/09/2022 : La Haute Cour fédérale de Lagos s'est prononcée le 29 août contre la décision des autorités de révoquer les licences de 53 stations de radiodiffusion, menacées de suspension. Son injonction provisoire empêche la NBC de révoquer les licences dans l'attente du jugement de l'affaire. Une prochaine audience a été ajournée au 8 septembre.


Au Nigeria, une radio sur dix risque de ne pas voir sa licence renouvelée pour cause de non-paiement de la redevance. La National Broadcasting Commission (NBC), le régulateur de l’audiovisuel, a en effet mis sa menace à exécution en suspendant 53 stations de radios publiques et privées. Une décision qui intervient dans un contexte d’intensification des violences qui visent les journalistes et médias au Nigeria.   

“La suspension par la NBC des licences d’une cinquantaine de radios prive des millions de personnes de leur droit à l’information alors que des responsables de médias impactés sont disposés à dialoguer pour trouver des solutions durables et bénéfiques à tous, a déclaré Sadibou Marong, directeur du bureau Afrique de l’Ouest de RSF. Beaucoup de médias travaillent dans des conditions  précaires et parfois menaçantes pour leur sécurité. Les autorités ont le devoir de remédier à ces entraves à la liberté de la presse.”  

Le 19 août, la NBC a publié dans un communiqué une liste de 53 stations de radios, publiques et privées, n’ayant pas payé leur redevance. Le document leur imposait une échéance de paiement d'abord fixée au 20 août puis repoussée au 24 août. Le montant de la redevance due par chaque radio variait entre 2 500 et 47 000 euros (soit entre 1 et 20 millions de nairas) selon qu’elle soit publique, privée ou communautaire, pour un total de 6 millions d’euros (2,6 milliards de nairas) pour les 53 stations concernées.

RSF s’est entretenu avec des responsables de radios impactées, qui ont appelé les autorités à réduire le montant des redevances, dont le paiement anticipé sur cinq ans n’est pas, pour eux, une méthode appropriée. D’autres, comme Raypower Networks propriétaire de la radio Ray Power FM,  ont préféré engager des discussions avec la NBC. 

Au Nigeria, les journalistes évoluent dans un environnement économique précaire et les médias sont la cible fréquente de menaces de suspension. Outre ces difficultés économiques, les journalistes font face à la récurrence des arrestations et des détentions arbitraires, ainsi que des attaques physiques.

Une quinzaine de journalistes arrêtés depuis juin 

Depuis juin 2022, au moins 15 journalistes ont été arrêtés et détenus pendant deux jours sur la base de motifs fallacieux et le plus souvent de manière arbitraire. La dernière arrestation remonte au 21 août dernier, quand le journaliste Agba Jalingo du CrossRiver Watch a été arrêté à son domicile à Lagos, suite à la publication d’un article sur la faculté de droit de l’université d’Abuja. Sa femme et ses enfants ont également été soumis à des heures de harcèlement par des policiers.  

Le 22 juillet, la police a effectué une descente au siège du très populaire site d’information Peoples Gazette, à Abuja. Son but : arrêter le directeur de la rédaction Samuel Ogundipe et le reporter Adefemola Akintade pour un article sur l'agence anti-corruption ICPC, publié le 23 juin 2022. En leur absence, les policiers ont interpellé cinq membres du personnel, dont Ameedat Adeyemi, Grace Oke, Sammy Ogbu,  Justina Tayani et John Adenekan, rédacteur en chef adjoint de la plateforme en ligne. 

Commentant cette arrestation en masse, le rédacteur en chef adjoint déclare à RSF : “Nous avons été arrêtés dans le cadre de notre travail de journaliste… C’est inacceptable de harceler des personnes qui font leur travail. Le journalisme n'est pas un crime et on espère que les autorités resteront attachées à la liberté de la presse sans succomber à des pressions illégales.”  Déjà en 2021, le site d’information avait été bloqué à la suite de révélations sur les privilèges accordés au fils d’un membre de la présidence.

Certains médias sont également menacés d’interdiction de diffusion pour avoir enquêté sur des bandes armées dans le nord-ouest du pays, à l’instar du média britannique BBC et du Daily Trust. RSF rappelle que couvrir tous les aspects d’un conflit fait partie des missions du journalisme indépendant.

Le Nigeria est classé 129e sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2022 établi par RSF. 

 

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