La demande de poursuites formulée par le président Alvaro Uribe en personne, le 22 août, contre le journaliste Daniel Coronell est un exemple de ce climat d'intimidation contre une partie de la presse.
Reporters sans frontières condamne l'abus, par les autorités colombiennes, de procédures, de citations à témoigner et autres poursuites engagées dernièrement contre des médias et des journalistes dont le travail les dérange visiblement. La demande - formulée par le président Alvaro Uribe en personne - d'ouverture d'une enquête visant Daniel Coronell, directeur du programme d'informations Noticias Uno sur la chaîne publique Canal Uno, et collaborateur de la revue Semana et du quotidien El Espectador, est un exemple de ce genre de manœuvres. Nous espérons d'ailleurs qu'elle n'aura aucune suite judiciaire.
“Faudra-t-il bientôt que la presse obtienne la permission des pouvoirs exécutif, législatif ou judiciaire pour avoir le droit d'aborder des thèmes sensibles, comme le conflit armé et la corruption ? Les récents succès de l'administration Uribe dans sa lutte contre la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (Farc), lui donnent-ils une légitimité particulière pour faire pression sur certains journalistes, de tenter de s'en servir comme auxiliaires de justice ou pire, de mettre en cause leur réputation ? Nous constatons que les journalistes visés par ces différentes procédures sont depuis longtemps dans le collimateur du pouvoir en raison de leurs choix éditoriaux. Nous rappelons aux autorités que le secret des sources est un pilier du travail journalistique, garanti par la Constitution, la Comission interaméricaine des droits de l'homme et les arrêts de la Cour constitutionnelle. Ces manœuvres accumulées resemblent fort à une stratégie d'intimidation”, a déclaré Reporters sans frontières.
La chambre pénale de la Cour suprême de justice, la plus haute juridiction du pays, et la commission d'accusation de la Chambre des représentants ont récemment convoqué plusieurs journalistes pour des affaires touchant au scandale de la “parapolitique” (liens entre des politiciens proches du président Alvaro Uribe et les paramilitaires), et concernant de possibles irrégularités dans l'adoption de la réforme constitutionnelle destinée à permettre la réélection du président de la République. Selon la Fondation pour la liberté de la presse (FLIP, organisation partenairre de Reporters sans frontières) et le quotidien El Espectador, Rodrigo Silva de la station privée nationale Caracol Radio, ainsi qu'Edgar Velosa et Sandra Pureza de la chaîne de télévision Canal Caracol, ont comparu en qualité de témoins.
Le 22 août 2008, le président Alvaro Uribe a sollicité l'ouverture d'une enquête pénale visant Daniel Coronell, pour avoir “passé sous silence” les déclarations d'une ancienne parlementaire, Yidis Medina, qu'il avait interviewée en 2004 et qui lui aurait demandé de ne pas la citer. L'ancienne congressiste, qui a donné son nom au scandale dit de la “Yidis-politique” aurait avoué, au cours de l'interview, avoir voté en faveur de la réélection d'Alvaro Uribe en échange de fonds offerts par le gouvernement. Elle a reconnu publiquement les faits au mois d'avril. La Cour suprême de justice l'a inculpée le 25 juin. Le chef de l'État a estimé que le journaliste s'était rendu coupable d'obstruction à la procédure en cours contre l'ancienne élue en gardant pour lui certains faits et sources.
Menacé à plusieurs reprises par des paramilitaires et contraint à l'exil en 2005, Daniel Coronell est connu pour son ton critique vis-à-vis du président Alvaro Uribe. Le 9 octobre dernier, le chef de l'État l'avait appelé en direct lors d'une émission de radio pour le qualifier de "lâche", de "menteur", de "canaille" et de "diffamateur professionnel" (voir communiqué du 15 octobre 2007). Le journaliste avait, aussitôt après, reçu des menaces des Aigles noirs, une bande armée issue du paramilitarisme.
Par ailleurs, William Parra correspondant de la chaîne d'information latino-américaine Telesur, et Carlos Lozano, directeur de l'hebdomadaire communiste Voz ont été cités dans la procédure dite de la “Farc-politique” mettant en cause les liens entre la guérilla et des personnalités d'opposition. Ces accusations ont été portées à l'appui des informations que les autorités assurent avoir trouvées en examinant l'ordinateur de Raúl Reyes, l'ancien numéro 2 des Farc, tué le 1er mars 2008 en Équateur. William Parra et son collègue de Telesur Freddy Muñoz ont déjà été les cibles d'accusations de complicité avec la guérilla (voir le communiqué du 27 novembre 2007). Ancien médiateur de paix auprès de la guérilla, Carlos Lozano a lui aussi subi les foudres de la présidence pour de prétendus liens avec la guérilla.