MOM Pérou: un fort niveau de concentration des médias qui menace la liberté d'expression dans le pays
Le fort degré de concentration de la propriété et des revenus des médias au Pérou est une véritable menace pour la liberté d’information dans le pays. La concentration de la circulation et des audiences, plus particulièrement dans la presse écrite et la presse en ligne, est également à un niveau exceptionnellement élevé .
Ce sont là les premières conclusions du MOM Pérou, une enquête menée conjointement par Reporters sans frontières et le média digital d’investigation péruvien OjoPúblico, entre septembre et novembre 2016.
Le MOM Project est un projet international dirigé par Reporters sans frontières qui analyse, par pays, la structure de la propriété des médias et l’environnement législatif encadrant le secteur. Il a déjà été mis en place en Amérique, en Europe et en Asie depuis 2015.
Les principaux enseignements de l’enquête, dévoilés à Lima le 1er décembre 2016, révèlent l’existence d’un niveau exceptionnel de concentration des revenus, de la propriété des médias, de la circulation et des audiences au Pérou, plus particulièrement dans la presse écrite et la presse en ligne. L’enquête met en avant un manque de transparence et de régulation de la part de l’Etat péruvien, et confirme la position archi-dominante du groupe El Comercio, dont le poids économique est sans précédents dans l’industrie médiatique du pays. Les résultats détaillés sont consultables sur le site www.monitoreodemedios.pe, en espagnol et en anglais.
Ce niveau de concentration représente une menace pour la liberté d’information au Pérou.
“Notre enquête a confirmé le poids économique considérable du groupe El Comercio sur le marché des médias au Pérou, devant les groupes ATV et Latina, les deuxième et troisième du pays”, a déclaré Oscar Castilla, directeur exécutif d’OjoPúblico. “El Comercio domine la circulation nationale des journaux péruviens, a un pouvoir considérable dans les médias digitaux, une grande influence dans le secteur de la télévision et contrôle une large partie des revenus publicitaires du secteur des médias en général”.
“Bien que que l’on ne perçoive pas de contrôle direct des médias par la classe politique, l’exploitation de vides juridiques peut représenter une menace bien réelle pour le pluralisme au Pérou”, ajoute Christian Mihr, directeur exécutif de RSF Allemagne.
Une forte concentration dans les différents secteurs des médias.
L’enquête s’est concentrée sur les 40 principaux médias du pays en termes d’audience: 10 stations de radio, 10 sites d’information en ligne, 10 canaux de télévision et 10 journaux écrits.
Sur ces 40 médias, 16 appartiennent au groupe El Comercio, qui concentre à lui seul 70 % de la publicité annuelle (journaux, télévision et digital), 80 % de la circulation de journaux et 78 % des lecteurs de la presse quotidienne. Son poids sur internet est également inégalé: selon l’analyse du MOM, El Comercio représente 68 % de l’audience totale estimée des sites d'information en ligne. Le groupe a reçu plus de 60 % des revenus globaux distribués aux 8 principaux groupes de média privés du pays. Les revenus cumulés estimés des trois premiers groupes (El Comercio, ATV et Latina) concentrent 84 % du volume total du marché.
“Cette position archi-dominante du groupe El Comercio sur le marché des médias est une situation inédite, jusqu’ici jamais observée dans le monde par le MOM; cela représente une grande menace pour le pluralisme des médias”, déclare Christian Mihr de RSF.
Le MOM Pérou a également constaté un fort niveau de concentration dans les secteurs de la télévision et de la radio. Pour la télévision ouverte, l’audience est concentrée sur les chaînes des trois plus grands groupes du pays (América Televisión, Latina et ATV). Un constat d’autant plus alarmant qu’une alliance commerciale a été scellée entre les deux principaux, América y ATV, mais également entre Latina et Panamericana Televisión. A eux quatre, ils accumulent 57 % de l’audience TV, mesurée par Kantar Ibope Media en 2015.
Dans le secteur de la radio, le bilan est assez similaire. Les 10 principales radios du pays analysées sont dans les mains de 4 groupes (RPP, CRP, Corporación Universal et Panamericana de Radios). Sept d’entre elles appartiennent soit à RPP soit à CRP.
Pour les médias en ligne, les 10 principaux sites du pays concentrent 90 % des revenus publicitaires. Sept d’entre eux appartiennent à El Comercio.
La propriété des médias dans les mains de familles
Sur les 10 groupes médias analysés par le MOM Pérou, 7 appartiennent à des familles.
Au delà de l’activité personnelle des propriétaires, ces familles maintiennent leurs investissements de façon quasi-exclusive sur le marché de la communication et des médias.
L’exception à la règle est le Groupe El Comercio, plus diversifié et présent dans les secteurs de l’éducation, l’immobilier, l’impression et le divertissement au Pérou, mais aussi en Bolivie, au Chili et en Colombie.
A la différence de ce qu’a pu découvrir le MOM dans d’autres pays, il n’y a pas au Pérou de parti politique directement lié à la propriété d’un média de portée nationale.
Cependant, la base de données révèle que les actionnaires, membres du directoire et postes les plus hauts placés dans la direction (administrative ou éditoriale) des groupes El Comercio, Latina et ATV, ont des liens étendus à d’autres activités dans le pays.
La Constitution péruvienne interdit les situations de monopole dans le secteur des médias, mais les contours de cette interdiction sont encore trop flous, si bien que son application et sa régulation sont insuffisants. Les limites de la propriété n’ont été clairement définis que pour les secteurs de la radio et de la télévision.
Problèmes de transparence et impact des mesures d’audience
Un des principaux problèmes rencontrés pendant l’enquête a été le manque de transparence de la part des propriétaires de certains médias. Dans le cas du groupe Latina, dont l’actionnaire majoritaire est un fonds d’investissement appelé Enfoca, les détails exacts de la propriété, bien que déclarés à la Bourse de Lima (Bolsa de Valores), sont protégés par une société offshore basée dans les îles Caïman. Dans le cas d’ATV et ses filiales, une grand nombre d’entreprises intermédiaires cachent le lien direct avec la maison mère, Albavisión, basée à Miami.
Par ailleurs, le système de mesure des audiences au Pérou a attiré l’attention des enquêteurs. En effet, pour chacun des secteurs (TV, radio, presse écrite et internet), on trouve un acteur en situation de monopole. Ces entreprises ne dévoilent les audiences qu’à leur propre clients.
“Cela signifie qu’il n’y a pas de transparence sur la consommation réelle des médias de communication dans les 4 secteurs”, déclare Nina Ludewig, responsable du projet MOM Pérou. Etant donné que les mesures d’audience sont déterminantes dans la décision des annonceurs privés et dans la distribution de la publicité officielle, ce manque d’informations est encore plus préoccupant. Cette opacité a des répercussions négatives sur la capacité de survie des médias, et donc sur le pluralisme des médias dans le pays.
OjoPúblico est un média digital dédié au journalisme d’investigation et à l’analyse de données, basé à Lima. OjoPúblico réalise des enquêtes sur les groupes de pouvoir de l’économie nationale et internationale, mais aussi sur le crime organisé, l’influence des industries d’extraction et les thèmes liés aux droits de l’Homme.
Le MOM est un projet international lancé par l'organisation internationale de défense de la liberté de la presse Reporters sans frontières. Le Projet est en cours dans huit pays du monde, y compris la Turquie, la Tunisie, la Colombie et le Cambodge. Une méthodologie générique est appliqué pour tous les pays, car elle examine la propriété et la concentration des groupes audiovisuels, de presse écrite et en ligne les plus pertinents, sélectionnés en fonction de leur part d'audience. Le projet est financé par le ministère allemand du Développement et de la Coopération économique (BMZ).
Plus d’informations:
Sur la liberté de la presse au Pérou: /fr/peru
Sur OjoPúblico: http://ojo-publico.com
Sur le site global du MOM: www.mom-rsf.org
Contact médias:
Reporters sans frontières Allemagne (relations presse)
Ulrike Gruska / Christoph Dreyer / Anne Renzenbrink
www.reporter-ohne-grenzen.de/presse
T: +49 (0)30 60 98 95 33-55
Ojo Público
Óscar Castilla, directeur exécutif