Les déclarations favorables à l'abrogation de l'article 301, se multiplient mais les poursuites à l'encontre de journalistes en vertu de ce dernier continuent. Les menaces contre l'hebdomadaire Agos, témoignent du climat de violence qui continue de régner, en particulier contre ceux que les nationalistes accusent de porter atteinte à l'identité turque.
L'assassinat de Hrant Dink, directeur de l'hebdomadaire bilingue turc-arménien Agos, survenu le 19 janvier 2007, a secoué l'ensemble de la société turque. Depuis l'annonce du décès du journaliste, outre les manifestations populaires - quelque 100 000 personnes ont accompagné le cercueil de Hrant Dink le 23 janvier -, les responsables politiques ont multiplié les déclarations.
L'abolition de l'article 301 du code pénal, punissant les atteintes à l'identité turque, au titre duquel le journaliste avait été condamné et était toujours poursuivi, est de nouveau évoquée. Le ministre des Affaires étrangères, Abdullah Gül, a récemment déclaré qu'il était clair que l'article 301 était problématique et que des changements devaient y être apportés. Reporters sans frontières ne peut que soutenir de tels propos. L'organisation appelle effectivement à l'abrogation de l'article 301.
Cette déclaration n'est pas la première. En effet, à l'occasion de la parution, en novembre dernier, d'un rapport de la Commission sur les progrès de la Turquie en vue de son accès à l'UE, rappelant que «l'article 301, de même que d'autres dispositions du code pénal turc restreignant la liberté d'expression, doivent être mis en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme (CEDH)», le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan avait déjà appelé les représentants de la société civile à lui faire des propositions. « Malgré cela, rien de concret n'a été à ce jour amorcé. C'est pourquoi, nous rappelons aujourd'hui que les promesses ne sont pas suffisantes », a déclaré Reporters sans frontières.
L'un des instigateurs de l'attentat dont Hrant Dink a été la victime, Yasin Hayal, a menacé Orhan Pamuk prix Nobel de littérature, lors de son transfert au tribunal d'Istanbul. Le jeune homme (17 ans) qui a tiré les coups de feu mortels contre le journaliste, Ogün Samast, a pour sa part déclaré aux policiers lors d'un premier interrogatoire, « ne pas éprouver de remords ». Il a expliqué que Hrant Dink avait mérité de mourir pour avoir insulté le peuple turc. C'est le nationalisme qui a armé le bras du meurtrier et qui nourrit encore les menaces contre les journalistes. Les collaborateurs d‘Agos ont sollicité une protection policière, qu'ils ont obtenue, après avoir reçu des menaces de mort par e-mail signé par le TIT ou « les brigades turques de la vengeance ». En 1998, un membre de cette organisation, Semih Tufan Günaltay, avait ordonné l'assassinat du président de l'association des droits de l'homme de Turquie Akin Birdal. A ce jour en Turquie, au moins six journalistes ou écrivains bénéficient d‘une protection policière.
Le 28 janvier, un ancien militaire de trente-six ans qui menaçait depuis samedi soir de faire sauter un ferry dans le nord-ouest de la Turquie pour protester contre les slogans pro-arméniens scandés lors des obsèques de Hrant Dink, s'est rendu à la police. L'homme avait sur lui un explosif particulièrement puissant, le C4. Il a déployé un drapeau turc sur le navire et a déclaré : « Je l'ai fait pour la Turquie.» Le 26 janvier, le quotidien Tercuman annonçait que ceux qui ne sont pas fiers d'être turcs n'avaient qu'à quitter le pays.
Enfin, pendant que l'abrogation de l'article 301 est évoquée, des journalistes sont toujours poursuivis en vertu de ce dernier. C'est le cas notamment de Umur Hozatli, pour deux articles parus en septembre dernier. Le journaliste critiquait une descente que la police avait effectuée dans les locaux de Özgür Radio et de l'hebdomadaire de gauche Atilim et l'accusait d‘incarcérer «abusivement, avec la coopération de certains magistrats, des personnes vues comme des séparatistes ou terroristes». En novembre 2006, Reporters sans frontières rappelait que soixante-cinq personnes au moins, parmi lesquelles de nombreux journalistes et écrivains, avaient été poursuivies au titre de l'article 301 en Turquie depuis l'adoption du nouveau code pénal en juin 2005.
Rappel des faits :
A ce jour, six personnes ont été inculpées de l'assassinat de Hrant Dink, survenu le 19 janvier 2007 devant les locaux du journal qu'il dirigeait, à Istanbul : Ogün Samast - le tireur -, Yasin Hayal (un militant nationaliste condamné à 11 mois de prison pour un attentat commis en 2004), l'un des instigateurs de l'assassinat de Hrant Dink, ainsi que Ahmet Iskender, Ersin Yolcu, Zeynel Abidin Yavuz et Erhan Tucel, étudiant proche d'un groupe nationaliste de Trabzon, ville d'origine du meurtrier présumé.
Hrant Dink, directeur de publication et chroniqueur de l'hebdomadaire privé bilingue arménien et turc Agos, a été tué par balles le 19 janvier 2007, devant les locaux de son journal à Istanbul. Journaliste célèbre et respecté dans le milieu du journalisme, il avait été plusieurs fois poursuivi par la justice turque en raison de ses positions sur les massacres d'Arméniens commis sous l'empire ottoman. Condamné en 2005 à six mois de prison avec sursis pour "humiliation de l'identité turque", il avait été de nouveau poursuivi en septembre 2006 pour avoir qualifié de "génocide" les massacres commis en Anatolie pendant la Première Guerre mondiale, dans un entretien avec l'agence Reuters. Il risquait trois ans de prison.