La Commission spéciale de l’Assemblée nationale chargée d'examiner le projet de loi pour la croissance et l'activité a intégré à la loi Macron, le 17 janvier, des amendements sur la protection du secret des affaires visant à pénaliser l’espionnage industriel.
Bloquée par le Sénat en 2012, notamment pour des “
difficultés en matière de liberté de la presse”, cette proposition de loi a été incorporée par amendement dans le texte du projet de loi Macron.
Au nom d’une "
meilleure protection" des entreprises et de la "
lutte contre l'espionnage industriel", ce projet de loi
introduit le secret des affaires en droit pénal français et condamne quiconque prendrait connaissance, révèle sans autorisation ou détourne toute information protégée au titre du secret des affaires d'une peine de trois ans d'emprisonnement et de 375 000 euros d'amende. Une sanction qui pourra même, en cas d’atteinte “
à la sécurité ou aux intérêts économiques essentiels de la France”, s’élever à sept ans de prison et 750 000 euros. Une force dissuasive pour les journalistes qui enquêtent sur les entreprises.
Aucune exception satisfaisante n’est prévue pour protéger le travail des journalistes. L’exception liée à ce qui est “
strictement nécessaire à la sauvegarde d’un intérêt supérieur (…) tel que la liberté d'information”, prévue à l’article L151-2, n'est pas assez large. Un autre amendement introduit à l’article 35 de la loi de 1881 permet au journaliste de prouver sa bonne foi, dans le cadre de poursuites en diffamation, mais n’empêchera pas de le poursuivre pour violation du secret des affaires.
“
On peut comprendre la volonté du gouvernement de protéger les entreprises françaises de l’espionnage industriel. Mais sanctuariser à ce point le secret des affaires représente une régression pour la liberté de l’information, déclare Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.
Le risque est que les journalistes se détournent des questions économiques sous la menace de condamnations potentielles. Le législateur ne peut prendre le risque de susciter une telle autocensure et de fragiliser le contrôle démocratique des acteurs économiques.”
Un arsenal législatif aux mains des entreprises pour dissimuler l’information
Une disposition prévoit la protection des lanceurs d’alerte en matière de santé et d’environnement. Cet amendement ne permet toutefois pas de protéger le lanceur d’alerte comme source d’information et n’instaure pas de mesure efficace de protection des donneurs d’alerte, notamment quand ils s'adressent aux médias (pour plus d’informations à ce sujet, voir
la consultation de Reporters sans frontières sur le numérique).
En plus de pénaliser l’atteinte au secret des affaires, une autre disposition permettrait à un tribunal de prendre en urgence “
toute mesure proportionnée telle que saisie, injonction et autre, propre à empêcher ou faire cesser cette atteinte”. Le tribunal pourrait aussi “
ordonner la saisie de tout support tel que document ou fichier contenant l’information concernée”. Pour le moment, ces dispositions n’ont pas fait l’objet d’amendements intégrés à la loi Macron.
Un amendement prévoit également, par l’intermédiaire de l’article 400 du code de procédure pénale, la capacité pour les entreprises de demander un procès à huis clos sur un litige au nom de la protection du secret. Il est essentiel que la publicité des débats reste le principe, et que les restrictions soient exceptionnelles : il est à craindre que le huis clos restreigne la couverture journalistique de procès relatifs au monde des affaires.
La loi Macron ne doit pas proposer un arsenal législatif aux entreprises souhaitant dissimuler au public des informations relevant de l’intérêt général. Le projet de loi initial, à partir duquel les différents amendements sur le secret des affaires ont été introduits, pourrait fournir d’autres dispositions potentiellement liberticides.