A la veille de leur rencontre du 31 janvier au cours de laquelle ils aborderont la question des relations avec Cuba, Reporters sans frontières demande aux 25 ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne (UE) que « la politique de soutien à la dissidence cubaine soit maintenue, voire approfondie ».
Le 27 janvier 2005
Monsieur le Ministre,
Suite à la libération de quatorze dissidents en 2004 et à la récente décision des autorités cubaines de rétablir leurs relations avec les pays de l'Union européenne (UE), vous vous prononcerez, le 31 janvier prochain, avec vos homologues des vingt-quatre autres pays membres, sur une révision des mesures prises en juin 2003 à l'encontre de Cuba. A cette occasion, Reporters sans frontières souhaite attirer votre attention sur l'absence de progrès sensible en matière de respect de la liberté de la presse dans ce pays et vous prie de prendre position pour que la politique de soutien à la dissidence soit maintenue, voire approfondie.
Notre organisation s'est, bien entendu, félicitée de la libération de Raúl Rivero et de trois autres journalistes il y a quelques semaines. Cependant, vingt-deux de leurs collègues sont toujours emprisonnés, ce qui fait de Cuba la plus grande prison de journalistes au monde après la Chine (26 détenus).
Dès juillet 2003, les Etats membres de l'UE avaient dénoncé les "mauvaises conditions de détention" des prisonniers politiques et s'étaient inquiétés de leurs problèmes de santé. Près de deux ans après leur arrestation, ces conditions de détention n'ont pas changé et l'état de santé de plusieurs des journalistes emprisonnés est préoccupant. Détenu à Pinar del Río (Ouest), Normando Hernández González a récemment été transféré dans un hôpital après que des examens ont révélé qu'il souffre de tuberculose. Ses confrères restés libres sont interdits de publier dans leur pays et souffrent d'un harcèlement constant visant à les contraindre à l'exil.
Pour faire entendre leurs voix, les Etats membres de l'Union européenne ont décidé de réduire leur coopération avec les autorités cubaines, de limiter les visites gouvernementales de haut niveau effectuées dans le cadre bilatéral, de réduire l'importance de la participation des Etats membres aux cérémonies culturelles et d'inviter des dissidents cubains aux cérémonies organisées à l'occasion des fêtes nationales.
Alors que le Comité de l'Union européenne pour l'Amérique latine (COLAT) préconise la suspension de ces mesures, Reporters sans frontières appelle au contraire à leur maintien, voire à leur renforcement. En premier lieu parce que ces mesures, et en particulier les invitations aux cérémonies officielles, permettent aux dissidents de sortir de la confrontation Cuba/Etats-Unis dans laquelle tente de les enfermer le pouvoir du président Castro.
Ensuite, parce que jamais, dans le cadre du dialogue politique, La Havane n'a fait de concessions en matière de respect des droits de l'homme et du pluralisme politique. Le gouvernement cubain ne donne aucun signe aujourd'hui qu'un rétablissement du dialogue permettrait des avancées significatives dans ces domaines. Jamais le dialogue n'avait d'ailleurs été aussi approfondi entre l'Union européenne et Cuba que lors des mois qui ont précédé le "printemps noir" de mars 2003. A l'époque, Cuba était sur le point de bénéficier des accords de Cotonou.
Par ailleurs, l'annonce par le gouvernement cubain de la normalisation des relations entre l'UE et Cuba ne constitue en rien une concession puisque leur rupture avait été décrétée à son initiative, en représailles des mesures prises par l'UE.
L'Union européenne ne peut plus se contenter de dénoncer les incarcérations de prisonniers politiques, elle doit maintenant renforcer son soutien aux démocrates qui, à Cuba, se battent pour que les libertés fondamentales et le multipartisme soient reconnus et respectés. Comme pour les anciens pays du bloc soviétique, devenus aujourd'hui membres de l'UE, l'avenir du pays dépendra demain de la vigueur de la société civile. Sans fermer la porte aux autorités cubaines dès lors qu'elles donneraient de vrais signes d'ouverture au dialogue (tels que la fin du monopole d'Etat sur l'information), l'Union européenne doit développer des programmes de coopération destinés à la dissidence.
C'est pourquoi Reporters sans frontières espère que vous vous prononcerez pour le maintien des mesures adoptées après la vague d'arrestations de mars 2003 et recommanderez de soutenir plus activement les démocrates et la société civile aujourd'hui réprimée.
Convaincu que vous ne resterez pas insensible à notre appel, je vous prie d'agréer, Monsieur le Ministre, l'expression de ma haute considération.
Robert Ménard
Secrétaire général