Lettre ouverte au Premier ministre Thaksin Shinawatra

Dans une lettre ouverte, Reporters sans frontières a demandé au chef du gouvernement de prendre des mesures pour que la situation de la liberté de la presse s'améliore en Thaïlande. L'organisation a appelé Thaksin Shinawatra à ne pas perdre cette occasion de maintenir son pays à la pointe du combat pour la démocratie dans une région où la liberté de la presse est suffisamment malmenée.

Monsieur Thaksin Shinawatra Premier ministre Bangkok Royaume de Thaïlande
Paris, 7 Novembre 2005
Monsieur le Premier Ministre, Récemment interrogé par la presse sur la dégradation de la situation de la liberté d'expression en Thaïlande révélée par le classement 2005 de Reporters sans frontières, vous avez déclaré que, selon vous, « les journalistes thaïs ont un maximum de liberté de faire leur travail. » Vous avez ajouté que vous êtiez disposé à organiser pour Reporters sans frontières un tour des rédactions afin que nous puissions vérifier que les professionnels des médias disposent d'une réelle liberté. Nous tenons à vous remercier de cette invitation qui nous permettrait sans nul doute d'apprécier votre proximité avec certaines rédactions. Mais nous préférons dans tous les cas interroger nous-mêmes les journalistes, directeurs de publication et militants de la liberté de la presse. Bien entendu, nous serions très honorés de pouvoir vous rencontrer afin de vous présenter directement nos remarques et nos propositions pour garantir la liberté de la presse en Thaïlande. Il nous semble urgent que votre gouvernement prenne plusieurs mesures qui garantiraient sans aucun doute que la Thaïlande soit mieux classée en 2006 : 1. Retirer toutes les plaintes en diffamation déposées contre des journalistes et des militants de la liberté de la presse par vos avocats ou ceux de membres du gouvernement, de votre famille ou de la compagnie Shin Corps contrôlée par vos proches. Il est inconcevable que, dans une démocratie, les plus hautes autorités et leurs proches portent plainte abusivement contre des journalistes. 2. Engager une réforme du code pénal afin d'en supprimer les peines de prison pour des délits de presse. Récemment, des pays comme le Sri Lanka et le Ghana ont décriminalisé la diffamation, sans que l'on note une dégradation de la qualité de la presse. 3. S'assurer que des enquêtes impartiales et exhaustives sont menées sur les meurtres de Santi Lammaneenil, directeur du quotidien Pattaya Post et correspondant de la chaîne Channel 7 et des quotidiens nationaux Khao Sod et Khom Chad Luek, à Pattaya ; et de Pongkiat Saetang, directeur du bimensuel local Had Yai Post. Il est également urgent que les auteurs et les commanditaires de la tentative d'assassinat à l'encontre de Manop Rattanacharungporn, du quotidien Matichon, soient punis. 4. Retirer toutes les plaintes à l'encontre des responsables de radios communautaires et commerciales déposées par les autorités. Permettre à ces médias, dans l'attente d'un règlement définitif du problème de l'attribution des fréquences, de continuer à diffuser leurs programmes. 5. Mettre fin aux pressions politiques et économiques sur les propriétaires de médias destinées à obtenir le licenciement de journalistes ou l'arrêt de programmes de radio ou de télévision, comme ce fut le cas pour le talk-show de Channel 9. 6. Instaurer une réelle équité et transparence dans la répartition des publicités publiques aux médias. Le classement de Reporters sans frontières que vous avez publiquement mis en cause permet de mesurer l'état de la liberté de la presse dans le monde. Il reflète le degré de liberté dont bénéficient les journalistes et les médias de chaque pays et les moyens mis en œuvre par ces Etats pour respecter et faire respecter cette liberté. Bien entendu, nous sommes conscients que certaines violences ou pressions à l'encontre de la presse ne sont pas le monopole de votre gouvernement et de vos proches. Ainsi, le classement mondial ne tient pas seulement compte des exactions dues à l'Etat mais aussi de celles de milices armées, d'organisations clandestines ou de groupes de pression. En Thaïlande, les réseaux mafieux, certains élus corrompus ou des groupes armés ont également une part de responsabilité dans cette dégradation de la situation des journalistes. Nous maintenons que le classement mondial de la liberté de la presse qui a vu la Thaïlande chuter de la 59e en 2004 à la 107e place en 2005 est le résultat de faits concrets et, en aucun cas, d'interprétations subjectives. Nous tenons également à vous informer que, pour la première fois depuis quinze ans, Reporters sans frontières a entrepris de collecter des informations sur la situation de la liberté de la presse en Thaïlande afin de publier un rapport d'enquête sur les récentes atteintes à l'encontre de la liberté d'expression. Nous vous en transmettrons une copie et vous pourrez ainsi mieux apprécier notre évaluation de la situation. Monsieur le Premier Ministre, il existe des mesures simples pour que la situation de la liberté de la presse s'améliore en Thaïlande et il est notamment de votre responsabilité de juguler cette dégradation. Ne perdez pas cette occasion de maintenir votre pays à la pointe du combat pour la démocratie dans une région où la liberté de la presse est suffisamment malmenée. Je vous prie d'agréer, Monsieur le Premier Ministre, l'expression de ma haute considération. Robert Ménard, Secrétaire général
Publié le
Updated on 20.01.2016

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