Lettre ouverte à la présidente Gloria Macapagal-Arroyo
Organisation :
Son Excellence Gloria Macapagal-Arroyo
Présidente de la République
Manille
Philippines
Paris, le 23 avril 2010
Madame la Présidente,
Il y a cinq mois, plus de cinquante de vos concitoyens, dont 30 journalistes, étaient massacrés par les miliciens de l'un de vos alliés politiques dans la province de Maguindanao. Ce massacre a bouleversé bien au-delà des frontières des Philippines. A l'époque, vous avez réagi très fortement en dénonçant un "acte particulièrement inhumain qui défigure notre Nation". Vous aviez promis que les "auteurs n’échapperont pas à la justice". Mais, aujourd'hui, nous craignons que les exigences de justice que vous et les membres de votre gouvernement avez exprimées à l'époque ne s'érodent, au profit de logiques politiciennes très dangereuses.
Ainsi, l'abandon par votre gouvernement de certaines charges portées à l'encontre de Zaldy et Akmad Ampatuan, deux frères du principal suspect, a jeté un trouble parmi les familles des victimes et les organisations de journalistes. Près de deux cents personnes, majoritairement des membres du clan Ampatuan et leurs miliciens, sont poursuivies pour le massacre, mais beaucoup d'entre elles ne sont toujours pas derrière les barreaux.
Le 23 novembre 2009 restera comme un jour noir pour la liberté de la presse dans le monde. Jamais dans l’histoire du journalisme, la profession n’avait payé un aussi lourd tribut en une seule journée.
Alors que des familles de victimes font face à des situations sociales très difficiles, il serait judicieux que votre gouvernement ordonne une saisie de certains biens du clan Ampatuan afin que les revenus tirés de leur revente soient distribués parmi les familles affectées.
Nous attendons de votre part des assurances que l'impunité ne triomphera pas dans cette affaire, comme c'est malheureusement le cas dans beaucoup d'autres affaires de journalistes assassinés dans votre pays. Nous sommes très préoccupés du fait que deux proches de témoins de l'accusation ont été récemment assassinés. Cette violence risque d'intimider ceux qui ont accepté de dénoncer face aux juges les auteurs et les commanditaires du massacre.
Des familles de victimes ont demandé à juste titre que le procès soit reporté après les prochaines élections, avant d'éviter toute récupération politicienne de cette affaire très grave. Cela nous semble être une demande légitime. En effet, l'ancien gouverneur Andal Ampatuan Sr, dont le fils, Andal Ampatuan Jr, est aujourd'hui jugé, a été l'un de vos soutiens politiques lors des dernières élections générales.
Selon nos informations, les frères du principal suspect continuent à financer leur milice privée, recevoir leurs lieutenants et donner des ordres depuis leurs lieux de détention. Ils ont par ailleurs engagé une vingtaine d'avocats chargés grâce à différents artifices de procédure d'obtenir une peine légère pour Andal Ampatuan Jr.
Nous espérons que la volonté politique affichée après le massacre, sur ce dossier crucial pour la crédibilité internationale des Philippines, n’est pas un simple effet d’annonce. C’est pourquoi nous vous demandons de renforcer les moyens et de garantir l'indépendance de la justice afin que ce procès soit exemplaire et que les commanditaires autant que les auteurs matériels de ces crimes soient punis.
La culture de la violence ne peut pas tout expliquer. C’est la culture de l’impunité, dans laquelle les plus hautes autorités de l’Etat ont une responsabilité, qui a permis aux tueurs et à leurs donneurs d’ordre d’exécuter autant de journalistes aux quatre coins du pays.
Si ce n’est pas le cas, Reporters sans frontières portera de nouveau l’affaire devant l’Organisation des Nations unies, et notamment le Conseil des droits de l’homme.
Notre organisation se joint aux familles des victimes qui ont appelé à manifester le 23 avril dans tout le pays pour réclamer justice.
En espérant une réponse positive à notre sollicitation, je vous prie de croire, Madame la Présidente, à l'expression de ma très haute considération.
Jean-François Julliard
Secrétaire général
Publié le
Updated on
20.01.2016