Les médias doivent pouvoir couvrir librement la crise en Crimée
Reporters sans frontières condamne fermement les manœuvres de censure et d’intimidation dont sont victimes de nombreux médias en Crimée (république autonome du sud de l’Ukraine). Depuis le 28 février 2014, des hommes en armes dépourvus de signes de reconnaissance, largement identifiés comme des soldats russes malgré les démentis de Moscou, ont pris le contrôle de la région. Alors que la nature de ces événements fait l’objet d’une véritable guerre de l’information, les violations de la liberté de la presse se multiplient.
“Nous rappelons à toutes les parties en conflit qu’il est de leur devoir de protéger les acteurs de l’information et de leur permettre de faire leur travail sans entrave. Les détenteurs du pouvoir en Crimée et les milices armées qui contrôlent le territoire doivent tout mettre en œuvre pour rétablir la diffusion de l’ensemble des médias locaux, remettre en service les infrastructures de communications, et lever les obstacles à l’entrée de certains journalistes dans la péninsule. Si complexe que soit la situation, rien ne justifie l’interruption arbitraire des activités de certains médias et les agressions de journalistes”, déclare Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.
Censure et intimidation
Le signal de la principale chaîne de télévision indépendante de Crimée, Tchernomorka, est coupé depuis le 3 mars. Le centre de transmission audiovisuel de la république autonome a affirmé qu’il avait été contraint de le suspendre “pour des raisons indépendantes de sa volonté”, sans toutefois fournir plus d’explications. La chaîne publique GTRK Krym, dont les locaux ont été investis le 28 février par des militaires, reste donc la seule chaîne locale disponible sur les écrans. Tchernomorka continue d’émettre par câble, par satellite et sur Internet, mais son site est paralysé par une cyberattaque.
Le 3 mars, le conseil des ministres de la république autonome de Crimée a menacé d’interrompre dans la péninsule la retransmission de chaînes ukrainiennes accusées de “créer l’illusion d’une ingérence militaire”. “Si cette campagne (...) négative ne cesse pas, les autorités de Crimée seront contraintes de couper ce flot d’information mensongère et non-objective, afin de soustraire la population à son influence”, a-t-il prévenu dans un communiqué.
Le 1er mars, une trentaine d’hommes en armes disant représenter une milice pro-russe baptisée “Front de Crimée” ont fait irruption dans le centre de presse de Simferopol (capitale régionale), qui abrite les bureaux du Centre d’investigations journalistiques. Après avoir été bloqués pendant plusieurs heures à l’intérieur du bâtiment, les journalistes ont pu quitter les lieux en emportant une partie de leur matériel. “De fausses informations proviennent de ce bâtiment” ont expliqué les miliciens, tout en invitant les journalistes à revenir travailler au plus vite. Ils ont assuré aux journalistes que le “Front de Crimée” était prêt à prendre en charge leur subsistance et à trouver “un accord sur une couverture correcte des événements”.
Les infrastructures de l’opérateur téléphonique UkrTelekom sont hors d’usage en Crimée depuis le 28 février au soir. Des hommes armés ont pris le contrôle de plusieurs centres de transmission et endommagé des câbles, ce qui a entraîné la coupure d’une partie du réseau téléphonique fixe, de l’accès à Internet et du réseau mobile TriMob dans la péninsule.
Les déplacements de journalistes entravés
Des checkpoints ont été mis en place aux frontières entre la Crimée et le reste de l’Ukraine et plusieurs journalistes en provenance de Kiev ont été empêchés d’entrer dans la péninsule. Le correspondant du média citoyen Hromadske TV Bohdan Koutiepov affirme ainsi avoir été refoulé le 1er mars, tout comme ses collègues d’Inter TV, de CDF et de France 24. Les hommes en armes qui gardent le checkpoint auraient menacé d’ouvrir le feu si les journalistes tentaient de les prendre en photo. Le même jour, les journalistes de Kherson Igor Troubaïev (Khersonskie Vesti) et Oleg Zaïtchenko (Tvoïa Pravda) ont eux aussi du faire demi-tour au point de contrôle d’Armiansk.
Journalistes agressés
Plusieurs journalistes ont été pris à partie en Crimée alors qu’ils étaient en train de faire leur travail. Deux cameramen de la chaîne ATR ont ainsi été passés à tabac le 1er mars à Simferopol. Ils filmaient les milices armées protégeant le bâtiment du conseil des ministres local.
Dans l’Est de l’Ukraine également, les vives tensions entre partisans et opposants du nouveau pouvoir se traduisent par des agressions de journalistes. Le 1er mars, un correspondant de Radio Svoboda a été tabassé, contraint de se mettre à genoux et d’embrasser un drapeau russe, en marge d’un rassemblement à Kharkiv. Le lendemain, à Donetsk, des journalistes de la chaîne Pershy Dilovy et de l’agence URA-Inform.Donbass ont été tabassés alors qu’ils couvraient un meeting.
(Photos: AFP Photo / Vasiliy Batanov, Genya Savilov / AFP)