Les journalistes indépendants dans le collimateur des autorités
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Reporters sans frontières s’inquiète des pressions accrues que subissent certains médias privés au Burundi, alors que se tiendra demain, samedi 25 avril 2015, le congrès du parti au pouvoir au cours duquel le candidat du parti à la présidentielle devra être annoncé.
Les pressions contre les journalistes et les médias ne datent pas d’hier au Burundi mais Reporters sans frontières note une augmentation du harcèlement à leur encontre au cours des derniers mois. Si les présidentielles prévues pour le 26 juin concentrent toutes les attentions, des élections législatives et communales devraient se tenir le 26 mai. Ainsi le terrain de reportage des journalistes est particulièrement miné.
La justice burundaise joue le jeu des autorités et est régulièrement instrumentalisée pour poursuivre les journalistes en justice sous des prétextes fallacieux. En tête de liste, la Radio Publique Africaine (RPA), média le plus écouté du pays, connu pour ses positions critiques du gouvernement actuel, et dont les journalistes font l’objet de poursuites judiciaires intempestives.
Depuis début avril, la journaliste Yvette Murekasabe, directrice de l’antenne de Ngozi, au nord du pays, est poursuivie pour diffamation par le président provincial des jeunes Imbonerakure (guetteurs) du parti présidentiel, Jules Ndatimana. Cette procédure fait suite à la diffusion d’un reportage sur la tenue d’une réunion des Imbonerakure où Ndatimana aurait tenu des propos appelant à la violence contre les opposants au troisième mandat du président de la République, Pierre Nkurunziza. Comparaissant le 10 avril, la journaliste a été sommée de révéler ses sources, ce qu’elle a refusé de faire. Elle a reçu une nouvelle convocation, le 21 avril au matin, pour comparaître le jour même. N’étant pas sur place, elle n’a pu se rendre à l’audience.
A Muyinga, au nord est du pays, le correspondant de la RPA, Alexis Nimubona, est lui poursuivi pour avoir insulté l’administrateur de la commune Muyinga après avoir diffusé un reportage faisant état du mécontentement des commerçants du marché de la commune contre l’administrateur. Le journaliste avait déjà fait l’objet de menaces en février de la part du chef de la police de Muyinga après un reportage sur des cadavres découverts dans la rivière Rweru frontalière du Rwanda.
Ces convocations sont à considérer dans la foulée de l’arrestation du directeur de la RPA, Bob Rugurika qui est toujours accusé de complicité d’assassinat après avoir diffusé un reportage sur le meurtre de trois religieuses italiennes. Bob Rugurika avait déjà été dans le collimateur des autorités après la diffusion d’un reportage sur l’entraînement de jeunes burundais au Sud Kivu l’est de la République démocratique du Congo. Il dit recevoir depuis des menaces de mort.
A Makamba, Serge Sindayigaya, le correspondant de Bonesha FM, une autre radio privée ayant pignon sur rue, a été interrogé toute la journée du 9 avril par le procureur de la république après avoir livré une information faisant état de distribution d’armes aux jeunes du CNDD-FDD. Un sujet sensible à l’approche des élections, d’autant plus que certains officiers de police haut placés étaient cités comme responsables de ces distributions.
Ce sujet des distributions d’armes aux jeunes Imbonakure est particulièrement sensible pour les autorités. Au cours de l’année écoulée pas moins de quatre journalistes ont été attaqués en justice ou convoqués au tribunal pour répondre de reportages sur ce sujet. Parmi eux, les correspondants de la RPA et de Bonesha FM à Bubanza (ouest) Eloge Nionzima et Alexis Nshekimana en avril 2014, Alexis Nimubona en mai 2014 et Hamissi Karihungu de Bonesha FM à Gitega en octobre 2014.
“Alors que le Burundi est sur le point de vivre un moment décisif de son histoire démocratique, nous sommes préoccupés de ces convocations en justice qui résonnnent comme autant de tentatives d’intimider les journalistes qui offrent une vision critique des autorités”, déclare Cléa Kah-Sriber responsable du bureau Afrique de Reporters sans frontières.
A titre de comparaison, la radio Rehma, connue pour tenir un discours pro-gouvernemental a durci son ton au cours du mois écoulé, laissant régulièrement la parole à des personnes tenant des propos s’apparentant à des appels à la violence. Dans une émission du 6 avril, un des invités aurait déclaré: “Je voudrais avertir ces gens de la société civile que nous n’avons plus besoin de construire des cimetières et des monuments dans leurs propres parcelles”.
La radio n’a pourtant pas été sanctionnée ou rappelée à l’ordre.
“En cette période pré-électorale, il est certes important que les journalistes prennent leur responsabilité et ne propagent pas des discours incendiaires mais cette règle doit s’appliquer à tous les médias, quelque soit leur ligne éditoriale.”
Reporters sans frontières a également noté plusieurs incidents récents d’intimidations violentes à l’encontre de journalistes.
Les 15 et 16 avril, le domicile de la correspondante de la radio Isanganiro en province de Bubanza (nord ouest du pays), Spès-Caritas Kabanyana, a été attaqué à deux reprises durant la nuit. Des individus non-identifiés ont jeté des pierres et frappé le toit de la maison à coups de gourdins. Certaines informations diffusées par la journaliste à la radio concernant les activités illégales des jeunes Imbonerakure (détention d’armes, fraudes observées lors de l’enrôlement des électeurs) pourraient en être la source. Certains Imbonerakure avaient déjà intimidé la journaliste par le passé. La police recherche les assaillants.
A Musaga (province de Bujumbura), le journaliste de la radio Bonesha FM, Egide Ndayisenga a été victime d’une attaque à la grenade à son domicile dans la soirée du 11 avril alors qu’il revenait du siège de sa radio. Le journaliste s’en est sorti indemne mais soupçonne que l’attaque est liée à un reportage sur une cache d’armes de guerre découverte à Kabezi. Le chef du service des renseignements et le chef de poste ont été vus armés ce soir là sur les lieux de l’attaque.
Les prochains jours et semaines seront déterminants pour ce pays d’Afrique centrale, situé à la 145e place sur 180 pays dans le classement 2015 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières
(Photo: AFP)
Publié le
Updated on
20.01.2016