Les attaques contre les médias en Europe ne doivent pas devenir la règle

Alors qu'ils lancent aujourd’hui le rapport annuel 2020 de la Plateforme du Conseil de l'Europe pour la protection des journalistes, 14 groupes internationaux de défense de la presse et organisations de journalistes mettent en garde : les atteintes à la liberté de la presse en Europe risquent sérieusement de devenir la règle. La récente attaque contre la liberté des médias au cours de la pandémie de Covid-19 a aggravé une perspective déjà sombre.

Launch of the 2020 Annual Report by the partner organisations to the Council of Europe Platform to Promote the Protection of Journalism and Safety of Journalists.

Le rapport annuel des organisations partenaires de la plateforme du Conseil de l'Europe analyse les alertes enregistrées par la Plateforme en 2019 et expose une tendance croissante à l'intimidation en vue de réduire les journalistes sur le continent au silence. Les dernières semaines ont accéléré cette tendance, la pandémie provoquant une nouvelle vague de menaces et d'attaques graves contre la liberté de la presse dans plusieurs Etats membres du Conseil de l'Europe. En réponse à la crise sanitaire, les gouvernements ont arrêté des journalistes pour leurs reportages critiques, largement étendu la surveillance et adopté de nouvelles lois pour punir les "fausses informations" alors qu'ils décident eux-mêmes de ce qui est permis et de ce qui est faux sans la supervision d’organes indépendants appropriés.

 

Ces menaces risquent de provoquer un basculement dans la lutte pour la sauvegarde de médias libres en Europe. Elles soulignent le puissant signal d’alarme adressé par le rapport aux États membres du Conseil de l'Europe en faveur d’une action rapide et déterminée mettant fin aux attaques contre la liberté de la presse et permettant aux journalistes et autres acteurs des médias d’informer sans crainte.

 

Bien que le taux de réponse global des États membres à la Plateforme ait légèrement augmenté pour atteindre 60 % en 2019, la Russie, la Turquie et l'Azerbaïdjan - trois des plus grands transgresseurs de la liberté des médias - continuent à ignorer les alertes, avec la Bosnie-Herzégovine.

 

2019 était déjà un champ de bataille intense et souvent dangereux pour la liberté de la presse et la liberté d'expression en Europe. La Plateforme a recensé 142 menaces graves à la liberté des médias, dont 33 attaques physiques contre des journalistes, 17 nouveaux cas de détention et d'emprisonnement et 43 cas de harcèlement et d'intimidation.

 

Tragiquement, deux homicides de journalistes figuraient parmi les attaques physiques : Lyra McKee en Irlande du Nord et Vadym Komarov en Ukraine. Parallèlement, la Plateforme a officiellement classé les meurtres de Daphne Caruana Galizia (2017) à Malte et de Martin O’Hagan (2001) en Irlande du Nord en cas d'impunité, soulignant l'incapacité des autorités à traduire les responsables en justice. Seule la Slovaquie a montré des progrès concrets dans la lutte contre l'impunité, inculpant l’instigateur présumé et quatre autres accusés du meurtre du journaliste Ján Kuciak et de sa fiancée, Martina Kušnírová.

 

Fin 2019, la Plateforme a enregistré 105 cas de journalistes derrière les barreaux dans l’espace géographique du Conseil de l'Europe, dont 91 en Turquie. La situation ne s'est pas améliorée en 2020. Malgré les risques graves pour la santé, la Turquie a exclu les journalistes de la libération massive de détenus en avril 2020, et le deuxième plus grand geôlier Azerbaïdjan a procédé à de nouvelles arrestations à la suite de reportages critiques sur la réponse du pays au coronavirus.

 

2019 a connu une nette augmentation du harcèlement judiciaire ou administratif de journalistes, y compris par des affaires SLAPP sans fondement et des menaces de poursuite fallacieuses et à motivation politique. Parmi les exemples en vue figurent les accusations de trafic de stupéfiants portées contre le journaliste d'investigation russe Ivan Golunov et l'emprisonnement persistant de journalistes en Crimée ukrainienne sous contrôle russe. La crise du Covid-19 a renforcé les moyens à la disposition des personnalités publiques pour harceler des journalistes, avec de nouvelles et dangereuses lois sur les "fausses informations" adoptées par des pays comme la Hongrie et la Russie qui menacent les journalistes d’emprisonnement pour avoir enfreint le discours officiel.

 

Parmi les autres problèmes graves identifiés par les alertes de 2019 figurent l’extension des mesures de surveillance qui menace la capacité des journalistes à protéger leurs sources, notamment en France, en Pologne et en Suisse, ainsi que les tentatives politiques de « capturer » les médias par l’appropriation et la manipulation du marché, la Hongrie constituant l’exemple le plus manifeste. Ces menaces sont également exacerbées par les mesures prises par plusieurs gouvernements dans le cadre de la crise sanitaire, qui comportent entre autre des restrictions arbitraires aux reportages indépendants et à l’accès des journalistes aux informations officielles concernant la pandémie.

 

Les partenaires de la Plateforme appellent à l’examen urgent des mesures prises par les gouvernements pour revendiquer des pouvoirs exorbitants en matière de liberté d'expression et de liberté des médias en vertu de lois d'urgence qui ne sont pas strictement nécessaires et proportionnés en réponse à la pandémie. Les lois sur l'état d'urgence incontrôlées et illimitées ouvrent la porte aux abus et ont déjà développé un effet gravement dissuasif sur la capacité des médias à informer et à examiner l’action des pouvoirs publics.

 

 

Alors que la Plateforme se félicite de l’attention accrue portée à la liberté de la presse par les institutions européennes, y compris le Conseil de l'Europe et les organes de l'Union européenne, la crise actuelle requiert des réponses plus urgentes et plus fermes pour protéger la liberté des médias et la liberté d'expression et d'information, et pour soutenir la viabilité financière du journalisme professionnel indépendant. À l'ère des mesures d'urgence, la protection de la presse, gardien de la démocratie, ne saurait attendre.

 

Le rapport entier est disponible ici.

Publié le
Mise à jour le 29.04.2020