Le Conseil constitutionnel a rendu publique, le 13 juin 2004, sa décision concernant la loi sur la confiance dans l'économie numérique (LEN). Cette décision, qui annule notamment une disposition très critiquée du texte concernant les délais de prescription sur le Web, constitue une victoire pour les défenseurs de la liberté d'expression.
Le Conseil constitutionnel a rendu publique, le 13 juin 2004, sa décision concernant la loi sur la confiance dans l'économie numérique (LEN). Cette décision, qui annule notamment une disposition très critiquée du texte concernant les délais de prescription sur le Web, constitue une victoire pour les défenseurs de la liberté d'expression.
Reporters sans frontières se réjouit dans l'ensemble des positions prises par le Conseil constitutionnel, tout en rappelant que des problèmes demeurent, notamment concernant le régime de responsabilité des hébergeurs. "Cette décision confirme ce que nous affirmions depuis des mois, à savoir que la LEN ne respectait pas la liberté d'expression. Il faudra cependant être particulièrement vigilant quant à l'interprétation de cette loi par les juges. Nous serons donc très attentifs aux premières décisions sur ce sujet, car elles devront notamment permettre aux prestataires techniques du Réseau de savoir quels sont les types de contenus qui peuvent être censurés sans l'intervention préalable de la justice", a déclaré l'organisation.
Délais de prescription sur la Toile : retour au droit de la presse
Les sages de la rue Montpensier ont annulé l'amendement introduit à l'initiative du ministre délégué à l'Industrie, Patrick Devedjian, qui stipulait que la prescription pour les contenus en ligne commençait trois mois après le retrait du texte incriminé. Un éditeur de site aurait ainsi pu être attaqué en diffamation pour des articles publiés des années auparavant. Le Conseil constitutionnel a considéré que cette disposition était contraire à la Constitution, car elle créait un régime juridique trop déséquilibré entre la presse et les publications électroniques. Il a ainsi décidé que le délai de prescription devait pour l'heure rester le même que pour les journaux - c'est-à-dire trois mois à compter de la date de mise en ligne du contenu. Les sages ont toutefois précisé que "le principe d'égalité ne fait pas obstacle à ce qu'à des situations différentes soient appliquées des règles différentes". En d'autres termes, ils acceptent qu'Internet bénéficie d'un régime de prescription différent de la presse, si celui-ci reste équilibré.
Responsabilité des hébergeurs : la jurisprudence devra trancher
Les garants de la Constitution ont réaffirmé que le principe de responsabilité pénale des hébergeurs, dans le cas où ceux-ci ont été alertés sur le caractère illicite d'un contenu, devait être maintenu. En effet, bien que cette mesure instaure de fait une justice privée du Net, ils ont estimé qu'elle était conforme à la directive européenne. Le Conseil constitutionnel met toutefois un bémol important au texte voté par les parlementaires, indiquant que la responsabilité des hébergeurs ne peut être engagée que si un juge a notifié le caractère illicite d'un contenu, ou si la page Web est "manifestement illicite". Cette dernière précision, qui reprend une recommandation du Forum des droits de l'Internet - un organisme consultatif français composé de personnes morales publiques et privées -, indique aux juges les limites de ce régime de responsabilité. En effet, la jurisprudence française ne reconnaît comme "manifestement illicite" que des contenus du type : propos négationnistes, images pédophiles, textes faisant l'apologie de crimes de guerre, etc. Il est ainsi peu probable que les hébergeurs soient condamnés en justice pour avoir diffusé, par exemple, des textes diffamatoires. Pour résumer, les neuf sages se disent contraints d'accepter la création d'une justice privée du Net parce qu'ils estiment que ce principe est présent dans la directive européenne.
Après la LEN ?
Reporters sans frontières appelle tous les internautes à la plus grande vigilance quant aux éventuelles dérives engendrées par le nouveau régime de responsabilité des hébergeurs prévu par la LEN. Le danger persiste que les prestataires techniques censurent abusivement le Net, et ce malgré les consignes données par le Conseil constitutionnel. L'organisation recommande par ailleurs aux hébergeurs de consulter les associations de défense la liberté d'expression avant de mettre en place leur procédure d'examen des contenus litigieux.
Enfin, Reporters sans frontières encourage la société civile à se mobiliser désormais dès l'examen par l'Union européenne de directives touchant à Internet. D'autant que, comme vient de l'affirmer le Conseil constitutionnel, le droit européen prime dans la plupart des cas sur la Constitution française. La LEN ne pourra ainsi être véritablement modifiée, notamment sur la question de la justice privée, qu'après le réexamen au niveau européen, à l'été 2005, de la directive de juin 2000 sur le commerce électronique.