Le rédacteur en chef de The Independent intimidé par les services de renseignements pour sa prise de position dans l'affaire Deyda Hydara

Reporters sans frontières exprime sa colère après que les services de renseignements gambiens ont réservé à Musa Saidykhan, rédacteur en chef du bihebdomadaire privé The Independent, un traitement « effrayant et humiliant », afin de le punir d'avoir demandé publiquement le soutien du président sud-africain Thabo Mbeki pour que la lumière soit faite sur l'assassinat impuni, le 16 décembre 2004, du journaliste Deyda Hydara. « L'impunité dont bénéficient les assassins de notre correspondant en Gambie aggrave la peur vécue quotidiennement par les journalistes, a déclaré Reporters sans frontières. Arrêter un citoyen et le contraindre à remplir sa propre fiche de police, parce qu'il a demandé l'aide du président sud-africain Thabo Mbeki, est effrayant et humiliant. Qu'attend la communauté internationale pour faire pression sur le président Yahya Jammeh ? Notre voix se joint à celle de Musa Saidykhan. Nous appelons solennellement Thabo Mbeki à faire pression sur Yahya Jammeh pour qu'il réponde enfin favorablement à la demande de formation d'une commission d'enquête indépendante chargée de faire la lumière sur l'assassinat de Deyda Hydara. » Parallèlement, Robert Ménard, secrétaire général de l'organisation, a lancé un « appel angoissé » au président sud-africain, le 28 octobre 2005, en faveur des journalistes gambiens. Dans un courrier accompagné des deux rapports de mission de l'organisation et des 14 communiqués de presse sur la situation de la liberté de la presse en Gambie, publiés en 2004 et 2005, Reporters sans frontières lui fait part « de sa préoccupation grandissante pour la sécurité des journalistes de la presse indépendante gambienne ». Le 27 octobre 2005 à la mi-journée, un officier de la National Intelligence Agency (NIA, les services de renseignements) a « invité » par téléphone Musa Saidykhan à un interrogatoire au quartier général de l'agence, situé à une centaine de mètres de la présidence, à Banjul. Après que le journaliste avait refusé de répondre à cette convocation, son interlocuteur lui a déclaré que s'il persistait dans cette attitude, il « (savait) bien ce qui arriverait ». A 14 heures 30, quatre officiers de la NIA en civil se sont présentés au siège de The Independent, sous l'identité d'« employés de la présidence » et ont procédé à l'arrestation du journaliste. Au siège de la NIA, Musa Saidykhan a été photographié et interrogé pendant plus de trois heures par un officier nommé « capitaine Saine », en présence de deux autres agents. L'officier lui a notamment demandé pour quelle raison il dénigrait la Gambie à l'étranger et s'il avait choisi la profession de journaliste pour « la gloire et la célébrité ». Les agents de la NIA lui ont également demandé de remplir une fiche de renseignements de trois pages, contenant des questions sur son identité, sa famille, ses habitudes et ses opinions. Le journaliste a été relâché aux alentours de 18 heures et « invité » à revenir au siège de la NIA le lendemain matin à 10 heures. Dans l'édition du 24 octobre de The Independent, Musa Saidykhan avait publié, sous le titre « Les rédacteurs en chef africains se souviennent de Deyda » (« African Editors Remember Deyda »), un récit de son séjour à Johannesburg, le 15 octobre, à l'occasion d'un forum des rédacteurs en chef africains. Au cours de ce voyage, il avait publiquement demandé au président sud-africain, présent à l'ouverture de la rencontre, d'aider la presse gambienne à obtenir que justice soit rendue dans l'affaire Deyda Hydara. « Je n'étais pas au courant de l'assassinat de Deyda Hydara, mais je vous promets d'interpeller le gouvernement gambien à ce sujet », avait répondu Thabo Mbeki. Le même épisode a été relaté dans l'édition du 26 octobre du quadri-hebdomadaire The Point, le journal cofondé par Deyda Hydara, sous le titre : « Le président sud-africain déterminé à résoudre le mystère de l'assassinat de Deyda » (« South Africa's President ‘Resolved to Solve' Deyda's Murder Mystery »). Rappel des faits Deyda Hydara a été assassiné par des inconnus au volant de sa voiture dans la soirée du 16 décembre 2004, alors qu'il raccompagnait chez elles deux employées de son journal. Cofondateur et rédacteur en chef du trihebdomadaire The Point, par ailleurs correspondant de l'Agence France-Presse (AFP) et de Reporters sans frontières, il était l'un des détracteurs les plus véhéments de deux nouvelles lois liberticides sur la presse, votées la veille de sa mort par le parlement gambien. Pour soutenir sa famille et son journal, mais aussi pour s'efforcer de faire avancer une enquête stérile, Reporters sans frontières a dépêché deux missions d'enquête sur place, en décembre 2004 et avril 2005. L'organisation a ainsi pu reconstituer l'emploi du temps de Deyda Hydara le jour de sa mort et énumérer quelques pistes sérieuses que les enquêteurs, en toute logique, devraient examiner. Elle a notamment découvert que son assassinat, perpétré par des professionnels, s'inscrit dans une série d'attaques contre les journalistes et les personnages qui « dérangent ». Même mode opératoire, même contexte, utilisation récurrente de voitures sans plaque d'immatriculation, menaces de mort préalables : l'assassinat de Deyda Hydara n'a pas échappé au schéma des nombreuses atteintes à la liberté de la presse enregistrées depuis plusieurs années en Gambie, et pour lesquelles la NIA est le principal suspect ou l'artisan désigné. En outre, l'organisation a révélé, en recoupant plusieurs témoignages, que Deyda Hydara était menacé et surveillé par les services de sécurité, quelques minutes encore avant d'être assassiné à quelques centaines de mètres d'une caserne de la police.
Publié le
Updated on 20.01.2016