Reporters sans frontières (RSF) a fait le déplacement à Diyarbakır (sud-est de la Turquie) pour assister, le 8 avril 2015, à l'ouverture du procès de Frederike Geerdink. Accusée de « faire la propagande du PKK », elle est l'une des première journaliste étrangère à faire l'objet d'un procès en Turquie depuis 1995.
La journaliste néerlandaise
Frederike Geerdink est connue comme la seule correspondante occidentale basée à Diyarbakir, où elle vit depuis 2006. Elle est l'auteur d'un livre et de nombreux articles consacrés à la question kurde, notamment sur le site
Diken et sur son blog, «
Kurdish Matters ». Après la perquisition de son domicile et un interrogatoire de plusieurs heures par la police antiterroriste, le 6 janvier 2015, elle a été inculpée sur la base de l'article 7.2 de la loi antiterroriste (« propagande d'une organisation terroriste »). Un chef d'accusation passible de cinq ans de prison.
Le responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de RSF, Johann Bihr, et le représentant de l'organisation en Turquie, Erol Önderoğlu, ont assisté à l'ouverture du procès le 8 avril en compagnie de représentants d'Amnesty International, de la Fédération européenne des journalistes (FEJ), de l'ambassade des Pays-Bas et de nombreux journalistes locaux et internationaux. Au terme de l'audience, le procureur a requis l'acquittement de Frederike Geerdink, notant que ses écrits relevaient du journalisme et ne comportaient pas d'apologie de la violence. En l'absence du juge titulaire, l'annonce du verdict a été repoussée au 13 avril.
« Nous sommes soulagés que le procureur ait requis l'acquittement de Frederike Geerdink, et nous espérons vivement que la cour suivra cette recommandation, déclare Johann Bihr.
Ce procès n'aurait jamais dû avoir lieu : il fait partie intégrante d'une campagne d'intimidation des journalistes étrangers basés en Turquie ».
Des réformes incomplètes
Le « quatrième paquet de réformes judiciaires », adopté en avril 2013 dans le cadre du processus de paix entre le gouvernement et la rébellion kurde du PKK, a commencé à restreindre le champ d'application de la loi antiterroriste en y introduisant la notion d'incitation ou d'apologie de la violence. Une précision attendue depuis très longtemps pour limiter le recours abusif à la législation antiterroriste dans des délits d'opinion.
L'accusation d'« appartenir à une organisation terroriste » reste cependant largement utilisée de façon arbitraire pour réprimer les professionnels des médias critiques des autorités. Une quarantaine de journalistes sont poursuivis sur cette base dans le cadre du
procès du présumé « comité des médias du KCK », une organisation affiliée au PKK. Pour avoir critiqué sur Twitter un procureur, la célèbre présentatrice
Sedef Kabaş est accusée d'avoir « mis un fonctionnaire public dans la ligne de mire d'une organisation terroriste ». Son procès s'ouvrira bientôt.
« Le procès de Frederike Geerdink illustre à la fois les avancées et les limites des récentes réformes judiciaires : même si le cadre législatif a évolué, la culture judiciaire reste imprégnée de réflexes sécuritaires et paranoïaques. Si elles veulent réellement garantir la liberté de la presse, les autorités doivent réformer jusqu'au bout la loi antiterroriste et s'assurer qu'elle est interprétée de façon restreinte », ajoute Erol Önderoğlu.
RSF est à Diyarbakır du 7 au 9 avril dans le cadre d'une mission d'enquête sur les répercussions de la question kurde sur la liberté de la presse.