En Thaïlande, un gilet pare-balles, censé vous sauver la vie, vous mène au tribunal ! Le photo-journaliste hongkongais
Hok-chun (Anthony) Kwan en a fait l'expérience le dimanche 23 août 2015, lorsqu'il a été arrêté pour «
possession d’arme illégale » à l’aéroport de Suvarnabhumi, Bangkok, tandis qu’il s'apprêtait à rentrer à Hong Kong avec, dans ses bagages, un gilet pare-balles et un casque.
En vertu de la loi de 1987 sur le contrôle des armes (
Arms Control Act), les casques et gilets pare-balles sont considérés en Thaïlande comme des armes et doivent donc faire l’objet d’une licence délivrée par le ministère de la Défense. Toutefois, cette loi est rarement appliquée et de nombreux journalistes en Thaïlande se munissent de gilets pare-balles lorsqu’ils couvrent l'agitation politique que connaît le pays.
Relâché sous caution lundi après-midi, Anthony Kwan s’est vu confisquer son passeport et a reçu l’interdiction de quitter le territoire thaïlandais dans l’attente de son inculpation. Selon son avocate Pawinee Chumsri, de l'organisation des Avocats thaïlandais pour les droits de l'homme, il devra se rendre tous les 12 jours au tribunal jusqu’à ce que le parquet décide de déposer ou non une plainte officielle. Il pourrait être jugé par un tribunal militaire et risque jusqu’à 5 ans de prison ainsi qu’une amende de 50 000 Baht thaïlandais (environ 1 230 euros).
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Nous appelons les autorités judiciaires thaïlandaises à lever l’interdiction de quitter le territoire qui a été notifiée à Anthony Kwan et à ne pas retenir de charges contre ce reporter, déclare Christophe Deloire, secrétaire général de RSF.
Il est inadmissible qu’un journaliste cherchant à se protéger dans un environnement à risques soit poursuivi de la sorte. Les dispositifs de sécurité physique tels que les gilets pare-balles et les casques sont des éléments essentiels de protection pour les journalistes. Nous attendons des autorités thaïlandaises qu’elles permettent aux journalistes de se protéger plutôt que de leur rendre la protection encore plus difficile. Nous observons que les demandes des journalistes pour se procurer la licence nécessaire au port d’un tel équipement restent en général sans réponse de la part de l’administration en charge, preuve s’il en est de l’hypocrisie des autorités. Les reporters doivent pouvoir éviter qu’on leur tire dessus comme des lapins.”
Travaillant pour une plateforme d’informations en langue chinoise basée à Hong Kong,
Initium Media, Anthony Kwan, 29 ans, avait été mandaté par son employeur pour couvrir les suites de l’attentat du 17 août 2015 au sanctuaire d’Erawan à Bangkok ayant fait 22 morts, dont deux jeunes hongkongaises.
Lors d'affrontements entre les différentes factions politiques et l’armée, récurrents en Thaïlande avant le coup d’Etat, les médias et les journalistes ont été visés, à répétition, par l’armée et les manifestants.
Hiroyuki Muramoto, un cameraman japonais de l’agence
Reuters âgé de 44 ans, avait été
tué par balles le 10 avril 2010 à Bangkok, lors de violents affrontements entre l’armée et les "chemises rouges" (fidèles à l’ancien Premier ministre Thaksin Shinawatra). Dans la nuit de mardi 18 au mercredi 19 mai 2010, le
photographe de presse italien Fabio Polenghi, 45 ans, travaillant en freelance, était tué dans des circonstances similaires. Ni l’un ni l’autre ne portait alors de gilet pare-balles.
Depuis le coup d’Etat de mai 2014, la situation des journalistes étrangers en Thaïlande est très précaire. Ces derniers font état de plus en plus de difficultés pour obtenir ou renouveler leur visa de travail et leur accréditation. Le Club des correspondants étrangers de Thaïlande (FCCT) fait l’objet de pressions et d’intimidations répétées de la part de la junte. Les menaces contre la presse, en particulier contre les reporters et journalistes d’investigation étrangers, qui existaient avant l’arrivée des militaires au pouvoir, sont exacerbées par le climat de tension politique créé par les militaires.
La Thaïlande figure au
134e rang sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse 2015 établi par Reporters sans frontières.