Le journaliste Lefteris Xaralambopoulos menacé de mort
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Reporters sans frontières exprime toute sa solidarité avec Lefteris Xaralambopoulos, journaliste pour le magazine Unfollow, qui a fait l’objet de menaces de mort suite à la parution d’un article sur la contrebande du pétrole en Grèce.
L'enquête de Lefteris Xaralambopoulos, parue le 31 janvier 2013 dans le numéro 14 du périodique, mettait en évidence les pratiques douteuses de certaines compagnies de transport qui, sur fond de crise énergétique, achèteraient du pétrole à des taux d'imposition réduits pour le revendre au prix du marché. L’enquête de Unfollow s’appuyait sur deux rapports des douanes portuaires du Pirée, détaillant les agissements de deux des plus grandes compagnies pétrolières engagées dans ces pratiques : Hellenic Petroleum (ELPE), dont les principaux actionnaires sont l'Etat grec et Spiros Latsis, mais surtout l’Aegean Oil, gérée par la famille Melissanidis. La compagnie et ses principaux responsables font l’objet de poursuites pour contrebande et contrefaçon, dans un procès dont la prochaine audience est fixée au 12 février 2013.
C’est au cours d’un entretien téléphonique avec Lefteris Xaralambopoulos, qu’il avait lui-même sollicité, que Dimitris Melissanidis a proféré des menaces de mort visant directement le journaliste et sa famille. L'avocat de l’homme d’affaires, Me Falilou Kranidiotis, a depuis fait savoir par écrit au périodique Unfollow que son client niait catégoriquement avoir appelé et menacé le journaliste.
Joint le 6 février 2013 par la correspondante en Grèce de Reporters sans frontières, Lefteris Xaralambopoulos revient sur les circonstances dans lesquelles il a été menacé.
Reporters sans frontières (RSF) : Dans quelles circonstances s’est tenu cet entretien téléphonique ?
Lefteris Xaralambopoulos (LX) : Nous avons reçu un appel à la rédaction de Unfollow, aux alentours de 20 heures vendredi 1er février, soit le lendemain de la parution de l'enquête. Quelqu’un demandait à me parler personnellement. J'ai pris la communication et j’ai reconnu la voix de Dimitris Melissanidis, c'est une personnalité connue. Le numéro du correspondant était affiché et je l’ai recherché sur Google pendant notre conversation. J'ai vu que c'était le numéro de téléphone de la Compagnie pétrolière Aegean Oil, basée au Pirée. J'ai mis le haut-parleur et deux de mes collègues, qui se trouvaient dans les locaux du magazine, ont également entendu toute la conversation. (Dimitris Melissanidis) m'a demandé pourquoi je mêlais son nom à la compagnie Aegean Oil, dans la mesure où c'est son frère qui la dirige et non lui.
RSF : Il était menaçant dès le début ?
LX : Non. Il voulait savoir pourquoi je parlais de lui alors que c'est son frère qui siège au Conseil d'administration de la compagnie, tandis que lui-même n'apparaîtrait nulle part. Je lui ai rappelé qu'il avait récemment reçu un prix récompensant son activité au sein de cette compagnie, et que c'est (au nom d’Aegean Oil) qu'il avait remercié ceux qui le lui avaient attribué. On peut encore voir cette séquence sur Youtube ! Comment peut-il alors dire maintenant qu'il n'a rien à voir avec Aegean Oil ? C’est grotesque ! Dans le reportage, je souligne effectivement que c'est son frère, Iakovos Mellissanidis, qui est membre du Conseil d’administration de cette multinationale poursuivie en justice par les douanes grecques. J'ai demande à Dimitris Mellisanidis s'il était informé de ce procès en cours. Il m'a répondu par l’affirmative, mais il a précisé que cela ne le concernait pas. En fait, Dimitris Mellisanidis est très soucieux de son image sociale. Être mêlé à une affaire de fraude fiscale et de contrebande pour un montant de 2,218.721 euros n'est pas bon pour lui. D'où sa réaction. C'est lorsque je lui ai parlé du prix qu'il a reçu en tant que manager d'Aegean Oil qu'il a commencé à m'insulter.
RSF : Qu'avez vous fait alors ?
LX : Je lui ai dit qu’il n’était nullement nécessaire de m’insulter. Que s'il le voulait, il pouvait nous faire parvenir un droit de réponse, que nous publierions comme la loi nous y oblige. C'est à ce moment-là que sont arrivées les menaces de mort.
RSF : Qu'a t-il dit ?
LX : Il a commencé par dire : « Tu ne comptes par pour moi, je vais engager des gens pour te tuer. J'aurais pu le faire sans te prévenir, mais je suis un homme, alors je te préviens. Le coup serait venu et tu n'aurais pas compris pourquoi. Maintenant tu sais. Je vais te b***, toi, ta mère, ta femme, tes enfants et ta famille. Moi je n'ai peur de rien. Tu ne va plus pouvoir dormir, tu ne vas plus pouvoir te déplacer. Je vais devenir ton cauchemar. La peur que tu auras de moi te poursuivra partout. Je suis Dimitris Mellisanidis, et on ne me la fait pas à moi. Ils vont venir chez toi quant tu dormiras et on fera sauter ta maison. J'ai appris à parler à des grands journalistes. J'ai fait des recherches sur toi et je vais te déchirer... ». Je lui ai dit que j'allais porter plainte et il m'a répondu qu'il ne s’en préoccupait absolument pas. Il a dit, mot pour mot : « les juges et les procureurs ne comptent pas pour moi, je me fous de toi ».
RSF : Avez-vous demandé la protection de la police ?
LX : Oui, bien sûr. Immédiatement après cette conversation, j'ai appelé la police pour dénoncer ces menaces et demander une protection. On m'a répondu qu’il fallait d’abord porter plainte. C’est ce que je vais faire. Mais je veux souligner que je tiens Dimitris Mellisanidis pour responsable de tout ce qui pourrait m'arriver, à moi ou au magazine, ainsi qu’à mes amis, ma famille, mes collaborateurs et leurs familles.
RSF : Quelles leçons tirez-vous de cette affaire ?
LX : Que Mellisanidis veuille protéger ses intérêts, c'est normal. Ce qui l'est beaucoup moins, c'est qu'il se sente à ce point au-dessus des lois, qu'il me menace ouvertement et qu'il dise se moquer de la justice. Mais à y regarder de plus près, ce n'est pas étonnant. Le procès de sa compagnie pour fraude fiscale a été reporté quatre fois de suite par le procureur, c'est à dire par l'Etat grec. Ce dernier, qui est censé lutter contre la fraude, l'évasion fiscale et la contrebande, n'est pas « présent ». C’est cela, la Grèce d’aujourd’hui (...). Nous avons peut-être pour monnaie l'euro, comme le reste de l'Europe, mais du point de vue de la corruption et de la justice c'est le tiers-monde ! On applique en Grèce une politique de deux poids, deux mesures. D'un coté, en pleines fêtes de Noël, l'Etat poursuit jusque dans les îles les commerçants ou les bars pour qu’ils donnent des tickets de caisses ; de l'autre, il ferme les yeux sur ce trafic pétrolier dans lequel l’Etat perd plus de 2 millions d'euros. Quatre reports de procès, alors que le pays est censé lutter contre la fraude fiscale, c'est inimaginable !
RSF : Pourquoi avez vous commencé à enquêter sur cette affaire ?
LX : Les Grecs se chauffent au bois, comme à Londres dans les années 50, car ils ne peuvent plus se permettre d’utiliser du fuel domestique ; une pollution inimaginable s’accumule au-dessus des villes. Que l’Etat fasse payer les fraudeurs, les contrebandiers qui ne s’acquittent pas des taxes pétrolières. Le prix du pétrole baissera automatiquement et les gens pourront se chauffer correctement. En creusant cette affaire, je me suis rendu compte que le dossier Aegean Oil avait fait le tour des ministères. Une ministre du Pasok (Parti socialiste, NDLR) l'a reçu en premier. Lorsque sa secrétaire le lui a présenté, la ministre a répondu : « Le mot contrebande n'existe pas pour moi. » Vous rendez-vous compte du pays dans lequel pays nous vivons ?
RSF : Quelles seront les conséquences de cette affaire pour Unfollow ?
LX : Nous subissons déjà le désistement d’un annonceur, mais cela ne nous inquiète pas outre mesure. Ce qui nous importe, c'est le public qui achète le magazine pour son contenu. Les autres médias - télévision, radio et presse écrite confondus - refusent de parler de cette histoire pour ne pas perdre les budgets publicitaires des différentes entreprises du groupe Melissanidis ou de la société ELPE, également mise en cause dans notre reportage. Le 12 février 2013 se tiendra la prochaine audience pour du procès contre Aegean Oil. Nous verrons bien ce qui va se passer.
Publié le
Updated on
20.01.2016