Le journal en ligne Freedom Newspaper et son directeur victimes d'un piratage informatique

Reporters sans frontières est révoltée par la campagne de diffamation organisée contre le journaliste en exil Pa Nderry Mbai, directeur du site Freedom Newspaper. Le journaliste a été victime d'un pirate informatique qui a détourné son site, prétendu qu'il avait rejoint le camp présidentiel et publié les noms de ses abonnés, en laissant croire qu'il s'agissait de ses “informateurs”.

Reporters sans frontières est révoltée par la campagne de diffamation organisée contre le journaliste gambien en exil Pa Nderry Mbai, directeur du site Freedom Newspaper (http://www.freedomnewspaper.com). Déjà menacé pour ses publications critiques envers le président Yahya Jammeh, le journaliste a été victime d'un pirate informatique qui a détourné son site, prétendu qu'il avait rejoint le camp présidentiel et publié les noms et les coordonnées de ses abonnés, en laissant croire qu'il s'agissait de ses “informateurs”. Le faux message d'allégeance au camp présidentiel, ainsi que les noms et les coordonnées des abonnés, ont été par la suite diffusés, en Gambie, par le quotidien progouvernemental Daily Observer, entraînant la convocation par la police de tous les abonnés apparaissant dans la liste. “Cet acte de piraterie est grave et écœurant. Cette entreprise de délation, doublée d'une diffamation caractérisée, met en danger des internautes tout en salissant la réputation d'un journaliste. Que le Daily Observer s'en soit rendu complice, au point de publier une liste de prétendus ‘informateurs' d'un journal présenté comme ‘séditieux', est d'autant plus stupéfiant”, a déclaré Reporters sans frontières. “Le climat dans lequel travaillent les journalistes gambiens est décidément empoisonné. Les auteurs et les commanditaires de cette machination doivent être identifiés et punis. Nous nous réservons le droit de nous joindre aux plaintes que Pa Nderry Mbai pourrait déposer devant la justice britannique ou américaine”, a ajouté l'organisation. Le détournement du Freedom Newspaper a commencé dans la nuit du 22 au 23 mai, lorsqu'un pirate informatique, client de British Telecom, dont l'adresse IP correspond à un internaute de Southampton (Grande-Bretagne), a pénétré dans l'outil d'administration du site, effacé l'ensemble de son contenu et remplacé la page d'accueil. Sur cette page, le pirate a publié un message prétendument signé par Pa Nderry Mbai, disant : “J'ai décidé d'arrêter la production du Freedom Newspaper, j'ai prêté allégeance à mon frère Ebou Jallow ancien porte-parole de la junte militaire dirigée par Yahya Jammeh, ndlr] pour me joindre à la campagne électorale de l'APRC”, l'Alliance for Patriotic Reorientation and Construction, le parti du Président. Suivait la liste des noms, adresses postales et électroniques, et numéros de téléphone des abonnés du site (“User accounts”), sous le titre : “Voici la liste des gens qui me fournissaient des informations” (“This is a list of the people that were supplying me with information”). Le journaliste a pu reprendre le contrôle de son site, le 23 mai dans la journée, avec l'aide de son hébergeur américain et de Reporters sans frontières, et publier un démenti. Connu pour ses prises de position très critiques envers le président Yahya Jammeh, à travers, entre autres, sa chronique signée “Bulfaleeh” (“peu importe” en wolof), présenté comme une source anonyme au sein de la présidence gambienne, Freedom Newspaper a été fondé début 2006 par Pa Nderry Mbai, ancien journaliste du trihebdomadaire privé The Point et ancien correspondant en Gambie de la radio publique américaine Voice of America (VOA). Aujourd'hui en exil aux Etats-Unis après avoir été plusieurs fois arrêté par les services de renseignements gambiens, la National Intelligence Agency (NIA), ce journaliste était un proche de Deyda Hydara, cofondateur et directeur de The Point, corresponsant de l'Agence France-Presse (AFP) et de Reporters sans frontières, abattu par des inconnus dans la soirée du 16 décembre 2004. Outre le piratage de son site, Pa Nderry Mbai a également été victime du détournement de son adresse électronique. Le 24 mai, le quotidien privé Daily Observer a publié en une la photographie de Pa Nderry Mbai, sous le titre : “Les informateurs du Freedom Newspaper démasqués” (“Freedom Newspaper informers exposed”). Le journal écrivait que Pa Nderry Mbai, directeur d'un journal “séditieux”, avait fait “la révélation spectaculaire des gens lui transmettant des informations, tout en changeant de camp pour rejoindre l'APRC et en fermant son journal”. (“has made a startling revelation of people passing him information against the government, while shifting allegiance to the ruling APRC and shutting down the paper”). Le 25 mai, le Daily Observer a publié la liste complète des abonnés du site et leurs coordonnées, ainsi que celles de Pa Nderry Mbai aux Etats-Unis, sous le titre : “La liste des informateurs du Freedom Newspaper publiée” (“Freedom Newspaper Informers list published”). Le même jour, la police gambienne a ordonné à toutes les personnes qui ont “fourni de manière continue des informations utilisées pour attaquer et rabaisser le gouvernement démocratiquement élu de son Excellence le président Alhaji Yahya Jammeh” (“who continually supplied him with information which he used to castigate and vilify the democratically elected government of His Excellency President Alhaji Yahya Jammeh”) de se présenter au commissariat le plus proche dans les 24 heures. Le Daily Observer, un quotidien privé appartenant à Amadou Samba, un homme d'affaires proche du Président, a été repris en main au mois d'octobre 2005 par Saja Taal, directeur de publication, et Mam Sait Ceesay, rédacteur en chef. Saja Taal est l'ancien secrétaire permanent du ministère de l'Education et Mam Sait Ceesay l'ancien attaché de presse de la présidence. Les précédents dirigeants du journal, Modou Sanyang et Lamin Cham ont été revoqués pour leur couverture de la crise ayant opposé le Sénégal et la Gambie sur la question des taxes douanières. Interrogé par Reporters sans frontières, Saja Taal s'est refusé à tout commentaire, affirmant que cette affaire était du ressort du rédacteur en chef du Daily Observer. Mam Sait Ceesay, contacté par téléphone, n'a pas souhaité répondre aux questions de l'organisation. Pa Nderry Mbai avait été préalablement mis en garde par courrier électronique, les jours précédant le piratage, par Ebou Jallow, ancien capitaine de l'armée gambienne et ex-porte-parole du Conseil provisoire de gouvernement militaire (Armed Forces Provisional Ruling Council, AFPRC), la junte militaire dirigé par Yahya Jammeh qui a pris le pouvoir par un putsch, en juillet 1994. Celui-ci affirmait notamment : “Si vous pensez que vous pouvez faire tout ce que vous voulez, alors que vous êtes hors de Gambie, réfléchissez à deux fois... parce que la réaction immédiate en Gambie va être très sale. Ceci est la mise en garde d'un frère”, concluait-il (“If you think that you can do whatsoever you want whilst away from the Gambia, then you better think twice... because the impending reaction in the Gambia is going to be very nasty. This is a warning from a brother.”). Ebou Jallow avait également transféré à Pa Nderry Mbai, par courrier électronique, un message qui lui avait été envoyé le même jour par un certain William Glass Junior, dans lequel ce dernier affirmait qu'il était en mesure de pirater son site et d'y publier un message “pour détruire la réputation” du journaliste. A ce jour, Ebou Jallow n'a pas répondu au courrier électronique envoyé par Reporters sans frontières le 26 mai. ------------- Créer votre blog avec Reporters sans frontières : [www.rsfblog.org
Publié le
Updated on 20.01.2016