La Serbie, le maillon faible de l'Europe : à Belgrade, RSF a appelé le gouvernement à agir pour la liberté de la presse et contre la propagande
Au moins quatre équipes de journalistes ont été attaquées alors qu'elles couvraient les récentes manifestations anti-gouvernementales en Serbie. Lors de réunions plus tôt à Belgrade, Reporters sans frontières (RSF) avait demandé au ministre de l'Information et à la conseillère médias du président des mesures contre l'impunité des crimes commis contre les journalistes, contre les procédures-bâillons et contre la désinformation du Kremlin.
Les attaques contre les médias serbes couvrant les manifestations antigouvernementales après l'accident mortel de la gare de Novi Sad ont, une fois de plus, mis en lumière les dangers auxquels est confronté le journalisme d’intérêt général dans le pays. Le 5 novembre, des individus violents ont brisé la caméra de la chaîne indépendante N1 et renversé le caméraman d'Euronews, tandis que les reporters de la radio locale 021 ont été attaqués avec de la peinture et des bouteilles en plastique. Dans la même soirée, après une manifestation à Belgrade contre la destruction d'un pont, un responsable politique d'extrême droite a agressé et menacé de mort le caméraman de l'agence de presse FoNet.
Ces incidents s'ajoutent à la longue histoire de violence déchaînée contre les journalistes, y compris le meurtre non résolu de Slavko Curuvija en 1999. Comme le montrent les poursuites en diffamation engagées par des anciens accusés contre la Fondation Slavko Curuvija pour son exaspération face à leur acquittement en février 2024, l'absence de justice exacerbe les risques pour les professionnels des médias.
En Serbie, placée 98e sur 180 pays – avant-dernière dans la zone de l'Union européenne (UE) et des Balkans – au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2024, l'accès des citoyens à l’information fiable est par ailleurs compromis par la propagande russe et les procédures-bâillons (SLAPP) visant les médias. RSF a discuté de ces questions lors de sa mission à Belgrade du 31 octobre au 4 novembre avec des représentants des journalistes, de la communauté internationale et du gouvernement – le ministre de l'Information, Dejan Ristic, et la conseillère médias du président serbe, Suzana Vasiljevic.
"Le droit à la propagande remplace le droit à l'information. Les auteurs d'attaques contre les journalistes sont présentés comme des victimes. C’est la liberté des ennemis des médias plutôt que la liberté des médias. La Serbie est le maillon faible de l'Europe en matière d'information. Lors de mes rencontres avec les autorités à Belgrade, je les ai exhortées à prendre des mesures contre la propagande russe, contre les poursuites judiciaires abusives et contre l'impunité des crimes commis contre les journalistes. J'ai également plaidé auprès de la communauté internationale en Serbie pour qu'elle soutienne de telles actions.
Comme l'a souligné RSF lors du Brave New Media Forum organisé par la Deutsche Welle Akademie le 2 novembre, Journée internationale de la fin de l'impunité pour les crimes commis contre les journalistes, une action urgente des autorités serbes est nécessaire dans les trois domaines suivants :
Attaques contre les journalistes et absence de justice. Outre le cas emblématique de Slavko Curuvija et d'autres assassinats de journalistes, la justice n'a pas été rendue dans des affaires plus récentes telles que les menaces de mort proférées à l'endroit des journalistes Ana Lalic et Dinko Gruhonjic, basés à Novi Sad, en mars 2024. La personne soupçonnée d'avoir proféré ces menaces – qui faisaient suite à des remarques diffamatoires répétées du chef de la majorité parlementaire – a fui la Serbie alors qu'elle était en état d'arrestation. Lors de sa mission à Belgrade, RSF a exprimé ses inquiétudes concernant les attaques politiques contre les journalistes et a demandé au gouvernement de créer les conditions pour que la justice puisse rapidement tenir responsables les auteurs de crimes contre les journalistes.
Procédures-bâillons (SLAPP). Visé actuellement par 16 actions en justice, le site d'investigation en ligne KRIK est le média indépendant serbe qui compte le plus grand nombre de poursuites-bâillons, selon sa propre analyse. Plusieurs actions en justice visant à réduire au silence les médias nationaux – ainsi que les médias locaux disposant de moins de ressources pour leur défense devant les tribunaux – ont été lancées par des personnes ou des entités ayant des liens avec le gouvernement. Lors de ses rencontres avec Dejan Ristic et Suzana Vasiljevic, RSF leur a demandé de travailler sur des mesures législatives et non-législatives anti-SLAPP basées sur les récentes recommandations du Conseil de l'Europe et de la Commission européenne.
Propagande russe. Les réactions de la majorité au pouvoir et des médias pro-gouvernementaux à l'enquête menée par RSF en septembre 2024 sur l'usine de propagande du Kremlin à Belgrade, RT Balkan, ont montré ce que les médias russes et leurs amplificateurs politiques et médiatiques serbes savent faire de mieux : diffuser de la désinformation. RSF a été faussement accusée d'être un “service de renseignement” et un “outil de l'Occident”. Des représentants du gouvernement ont diffusé des fausses informations selon lesquelles RSF aurait approuvé l'attaque aérienne meurtrière de 1999 contre le radiodiffuseur public RTS et ont commencé à présenter la Serbie comme une “île de liberté”. Même le président serbe Aleksandar Vucic a réagi à l'enquête de RSF en déclarant : “toute notre vie, on nous a appris qu'il devait y avoir un autre côté, qu'il fallait tout entendre, et aujourd'hui, tout est tellement partisan que si vous écoutez les deux côtés, vous êtes l'ennemi des deux côtés.” Lors de sa mission à Belgrade, RSF a demandé aux autorités d'appliquer la loi serbe – que RT Balkan viole par manque de transparence – si les autorités refusent d'appliquer les sanctions de l'UE contre les organes de propagande russes.
En réaction à l'enquête de RSF, la Commission européenne a rappelé, début octobre, que “la Serbie, en tant que pays candidat à l'adhésion à l'UE, doit [...] prendre des mesures urgentes pour lutter contre la manipulation et l'ingérence de l'information étrangère”. Dans son rapport annuel sur la Serbie publié le 30 octobre, la Commission européenne a appelé la Serbie à agir pour la sécurité des journalistes et contre les procédures-bâillons. Le pays n'a fait “aucun progrès” en matière de liberté d'expression au cours de l'année précédente, selon le rapport.
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