La presse sous pression au Brésil- RSF analyse les attaques en ligne contre les journalistes pendant l'élection présidentielle

Présentation

Ces dernières années, les insultes, menaces et campagnes de harcèlement se sont intensifiées contre les journalistes et les médias au Brésil, notamment de la part des autorités publiques, de la classe politique et de ses supporters. Les réseaux sociaux, utilisés comme caisse de résonance, sont devenus un terrain miné. Cette tendance a un impact négatif non seulement sur le travail et la vie personnelle des journalistes, mais aussi sur le débat public et la liberté de la presse dans le pays.

Durant la période électorale (du 16 août au 30 octobre), Reporters sans frontières (RSF) réalise un suivi systématique des attaques en ligne contre la presse, notamment sur Twitter, afin de mieux comprendre leur origine, structuration et organisation. Jusqu'à la fin du second tour, 120 profils de journalistes, chroniqueurs, éditorialistes ainsi que d’autorités publiques et de candidats aux élections seront suivis quotidiennement, en partenariat avec  le Laboratoire d’études sur l’image et la cyberculture (Labic), rattaché à l’Université fédérale de l’État d'Espirito Santo, un centre de recherche référent et spécialiste des analyses des réseaux sociaux et des tendances digitales.

RSF publiera ici des analyses hebdomadaires basées sur les données recueillies.

“Une analyse approfondie et un suivi systématique des attaques en ligne contre la presse est fondamental pour mieux saisir le rôle de l’espace numérique dans le scénario structurel des violences contre les journalistes au Brésil, et envisager des solutions plus efficaces pour contrer ce phénomène

Emmanuel Colombié
Directeur du bureau Amérique latine pour RSF

Résumé du premier de mois de campagne présidentielle au Brésil

  • Lors du premier mois, au moins 2,8 millions (2 865 845) attaques ont été enregistrées contre la presse et les journalistes sur les réseaux sociaux, dont 264 hashtags insultants. Cela représente plus d'une attaque par seconde depuis le 16 août, date du début de la campagne électorale.
  • Les hashtags les plus utilisés au cours de la période sont : #globolixo (mentionné 401 973 fois) ; #globolixoderretendo (15 741) ; #cnnlixo (5 686) ; #globosta (1 026) ; #uolixo (876) ; #bandlixo (531) ; #folhalixo (481) ; et #imprensalixo (460).
 “Lixo” signifie “déchet”, “poubelle” en portugais.
  • Les journalistes ayant reçu le plus de messages à contenu offensant pendant cette période : Vera Magalhães (26 706 attaques), Miriam Leitão (3 832), William Bonner (1 650), Andréia Sadi (1 550), Eliane Cantanhêde (1 468), Milton Neves (1 279), Mônica Bergamo (1 198), Ricardo Noblat (891), Reinaldo Azevedo (793) et Renata Vasconcellos (458).
  • Le pic de ces attaques en ligne a été atteint entre le 22 et le 28 août avec les interviews individuelles des candidats à la présidence de la République au “Jornal Nacional” (le journal d’information du soir le plus suivi du Brésil) et les débats télévisés réalisés par la chaîne Rede Globo.
  • Vera Magalhães, présentatrice vedette de la chaîne de télévision TV Cultura, est la journaliste la plus attaquée en ligne durant ce premier mois de campagne présidentielle. À elle seule, elle comptabilise près de 27 000 agressions sur Twitter. Après avoir été agressée verbalement par le président-candidat Jair Bolsonaro lors du débat sur TV Bandeirantes le 28 août, le hashtag #VeraVergonhadoJornalismo (#VeraHonteDuJournalisme) a été partagé plus de 10 000 fois en quelques heures et il est le troisième hashtag le plus utilisé sur cette période. Enfin, l'expression "Verba Magalhaes", qui fait référence aux fausses informations sur le prétendu salaire que recevrait le journaliste de TV Cultura, a été mentionnée 10 816 fois sur Twitter le lendemain du débat. 
  • Sur les 10 journalistes les plus ciblés au cours de cette période, 88 % des attaques en ligne sont destinées à des femmes journalistes (reporters, présentatrices, éditorialistes). En général, ces agressions s'articulent autour de termes misogynes, d'insultes personnelles et de désinformation.
  • En analysant les termes les plus utilisés dans les posts visant à intimider les journalistes et à discréditer le travail de la presse, on trouve les adjectifs suivant : "militant", "salope", "vache", "ordure", "canaille", "idiot", "journazi", "ridicule", "voyou", "vieux", "laid", "papy" et "communiste".
  • Parmi les profils des agresseurs les plus suivis sur Twitter et les plus virulents envers des journalistes, on retrouve Leandro Ruschel, soutien du président Jair Bolsonaro, et Paulo Figueiredo Filho, éditorialiste pour la chaîne Jovem Pan. Mais il existe d’autres profils, moins connus ou anonymes tels que @antonioalvespho, @anderson_a_mach et @machadoands. Tous ont en commun d'être de fervents défenseurs du président-candidat Jair Bolsonaro, de ses idées et de ses propositions.
  • Les tweets qui atteignent individuellement le plus grand nombre de profils sont ceux postés par la classe politique et les candidats à la présidence de la République. Le message posté par le président Jair Bolsonaro au sujet de l’éditorialiste et présentatrice de CNN Brésil Gabriela Prioli, le 1er septembre, a fait l’objet de 13 000 retweets et a atteint plus de 13 millions de personnes.

Analyses hebdomadaires

Le bicentenaire de l’indépendance, nouveau prétexte pour agresser les médias et les journalistes

4 au 11 septembre

 

La couverture médiatique faite le 7 septembre, date du bicentenaire de l’indépendance du Brésil, a cristallisé la majorité des attaques en ligne contre la presse lors de la dernière semaine, mais les femmes journalistes sont aussi victimes de nombreuses attaques misogynes. Entre le 4 et le 11 septembre, Reporters sans frontières (RSF) et le Laboratoire d’études sur l’image et la cyberculture (Labic) ont recensé 33 000 attaques contre la presse sur Twitter et 74 hashtags diffamants. La chaîne la plus puissante du pays, la Rede Globo et le hashtag #GloboLixo (#GloboPoubelle) reste, de loin et pour la quatrième semaine consécutive, le plus utilisé, avec près de 10 600 mentions.

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Une journaliste dans l’œil du cyclone après la parution d’une enquête sur les biens immobiliers de la famille Bolsonaro

29 août au 4 septembre

Entre le 29 août et le 4 septembre, troisième semaine de la campagne électorale, Reporters sans frontières (RSF) et le Laboratoire d’études sur l’image et la cyberculture (Labic) ont enregistré près de 34 000 attaques contre la presse brésilienne sur Twitter. Un nombre nettement inférieur à celui enregistré au cours de la deuxième semaine (2 800 000 attaques) – qui avait été marquée par les interviews et le débat des candidats à l’élection présidentielle – mais qui montre le caractère systématique des agressions contre les journalistes. 

Lors de la troisième semaine de campagne, la journaliste Juliana Dal Piva a été la cible d’attaques en ligne après la parution d’une enquête explosive sur le patrimoine du clan Bolsonaro.

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Les interventions télévisées des candidats à la présidentielle provoquent une avalanche d’attaques contre la presse

22 au 29 août

 

 Lors de la deuxième semaine de la campagne, les débats télévisés ont engendré des attaques massives contre les médias nationaux. Les présentateurs vedettes du “Jornal Nacional” (le journal d’information du soir le plus suivi du Brésil, sur TV Globo), Renata Vasconcellos et William Bonner en ont particulièrement fait les frais. Cela après avoir interviewé six des douze candidats à l’élection présidentielle entre le 22 et 26 août. 

L’épisode le plus marquant de la semaine reste cependant la déferlante d’attaques dirigées contre la journaliste Vera Magalhães, lors du débat présidentiel sur la chaîne TV Bandeirantes, le 28 août. Interrogé par la journaliste sur sa gestion de la pandémie et la désinformation, Jair Bolsonaro a répondu : “Je pense que vous dormez en pensant à moi. Vous ne pouvez pas prendre parti dans un débat comme celui-ci, en faisant de fausses accusations à mon endroit. Vous êtes une honte pour le journalisme brésilien.” Cette réaction du candidat-président a immédiatement déclenché une avalanche d’attaques sur Twitter contre Vera Magalhães, présentatrice vedette de la chaîne de télévision TV Cultura.

Entre le 22 et le 28 août, Reporters sans frontières (RSF) et le Laboratoire d’études sur l’image et la cyberculture (Labic) ont enregistré sur Twitter près de 2 800 000 attaques contre la presse brésilienne. Ils ont compté 140 hashtags offensifs ciblant des journalistes ou des médias, mentionnés dans 937 870 tweets.

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Les interventions télévisées des candidats à la présidentielle provoquent une avalanche d’attaques contre la presse

16 au 22 août

 

Lors de la première semaine de la campagne, la couverture médiatique de l’investiture du nouveau président du Tribunal supérieur électoral (TSE) a engendré des attaques massives contre la journaliste Miriam Leitão. Entre le 16 et le 22 août, Reporters sans frontières (RSF) et le Laboratoire d’études sur l’image et la cyberculture (Labic) ont enregistré près de 67 000 agressions et 119 hashtags agressifs contre la presse et les journalistes au Brésil. Les deux hashtags les plus partagés étaient #GloboLixo (#GloboPoubelle) et #CNNLixo (#CNNPoubelle), avec respectivement 6 519 et 972 citations. 

RSF et le Labic constatent que les autorités publiques et les candidats aux élections ont une grande influence sur les réseaux sociaux et donnent la légitimité à leurs soutiens de poursuivre les agressions.

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Le projet

Le bureau Amérique latine de Reporters sans frontières (RSF) développe un projet, avec le soutien du Fonds canadien d'initiatives locales au Brésil, destiné à recenser, à analyser, à décrypter et à dénoncer les attaques en ligne contre les journalistes lors de ce processus électoral. Pour ce faire, RSF a noué un partenariat avec le Laboratoire d’études sur l’image et la cyberculture (Labic), rattaché à l’Université fédérale de l’État d'Espirito Santo, un centre de recherche référent et spécialiste des analyses des réseaux sociaux et des tendances digitales.

Plus de détails sur le projet

 

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