La Première ministre Sheikh Hasina mène une guerre personnelle contre la presse critique

Reporters sans frontières (RSF) demande à la Première ministre Sheikh Hasina de cesser son harcèlement à l’encontre du rédacteur en chef du Daily Star Mahfuz Anam. Le journaliste avait affirmé le 4 février dernier avoir publié en 2007 - comme l’immense majorité des journaux du pays- , des documents en provenance des militaires alléguant de faits de corruption à l’encontre de la Première ministre, sans pouvoir les vérifier de manière indépendante.


Le 22 février 2015, le Premier ministre et leader de la ligue Awami au pouvoir, Sheikh Hasina a publiquement appelé le journaliste du quotidien indépendant Daily Star à démissionner, après avoir insinué que son média avait entretenu une collusion avec les militaires entre 2007 et 2009, alors qu’ils étaient au pouvoir, et affirmé qu’il avait cherché à saboter la constitution. Instrumentalisant l’erreur éditoriale commise par le Daily Star, qui serait à l’origine de son incarcération selon elle, le Premier ministre a par la suite demandé aux leaders politiques de son parti de condamner unanimement les actions du journaliste. En cause, des articles du Daily Star publiés en juin 2007 et faisant état, à l’instar de nombreux journaux et chaînes de télévision, d’allégations de corruption à l’encontre de Sheikh Hasina fournies par des sources militaires.


Le journaliste fait l’objet d’une campagne de harcèlement sans précédent au Bangladesh pour un professionnel des médias. En moins de trois semaines, pas moins de soixante dix neuf dossiers judiciaires ont été enregistrés : dix-sept accusations de « sédition » (un crime punissable de trois ans de prison) et soixante deux plaintes pour « diffamation » (passible de deux ans de prison), déposées dans cinquante trois districts à travers le pays. Plus d’un trillion de takkas (soit près de 15 milliards d’euros) de dommages et intérêts sont réclamés par les plaignants, dont le Premier ministre ne fait pas partie.


« Ce lynchage public, instrumentalisé par un chef d’Etat qui prétend respecter la démocratie et la liberté de la presse dans son pays est inacceptable, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières. Les lois sont bafouées au prétexte d’obtenir justice dans ce qui n’est autre qu’une affaire d’éthique journalistique : en aucun cas, Mahfuz Anam ne saurait être accusé de sédition, le journaliste n’ayant jamais porté atteinte à la Constitution. Il ne peut pas non plus être poursuivi à soixante deux reprises pour le même fait. Il est temps que la ligue Awami comprenne que l’opposition politique est nécessaire en démocratie et qu’éradiquer la presse critique constitue une violation directe des libertés fondamentales et des droits de l’homme.»


Interrogé au cours d’une émission politique sur la chaîne ATN News, le 4 février dernier, Mahfuz Anam avait reconnu un manque de rigueur et une erreur de discernement: « les informations fournies par le DGFI (NDLR : Directorate General of Forces Intelligence, qui contrôlait le pays) n’étaient pas confirmées. Je ne pouvais pas les prouver en toute indépendance, j’ai écrit que je n’étais pas capable de les vérifier de manière indépendante. (…) Ce fut un mauvais jugement éditorial de ma part ».

Dans ses articles, le journalistes avait concédé qu’il n’avait pas pu vérifier l’authenticité des aveux de corruption dont il faisait état. A l’époque, seuls deux médias, le quotidien New Age, et le journal en ligne bdnews24, s’étaient refusés à publier ces allégations.


Demeurant critiques à l’encontre de toutes les instances du pouvoir, le Daily Star et sa publication soeur Prothom Alo (principal quotidien en bengali) sont victimes d’une mesure illégale et discriminatoire émanant du DGFI, depuis août 2015. L’agence de renseignement a en effet interdit aux plus grandes entreprises du pays, dont les opérateurs de téléphonie mobile (telles que Grameenphone) de placer leur publicités dans les pages des deux quotidiens indépendants, provoquant une baisse de revenus d’environ 30%. L’ordre a été passé au lendemain de la publication, le 16 août 2015 par le Daily Star, d’un article sur des crimes perpétrés la veille par des militaires dans la division de Chittagong (est du pays). Aucun média bangladais n’a rapporté cette tentative d'asphyxie financière à l’encontre des deux quotidiens.


Le Bangladesh figure à la 146ème place sur 180 pays au Classement de la liberté de la presse 2015 établi par Reporters sans frontières.


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Publié le
Updated on 08.03.2016