Reporters sans frontières s'associe aux conclusions et aux recommandations de la Mission internationale qui vient de conclure une mission d'enquête dans l'île. Les médias, surtout tamouls, sont les victimes directes de l'escalade des violences. La Mission appelle les forces en présence à respecter la liberté de la presse et à lutter contre l'impunité.
Rapport de mission
Mission internationale d'enquête et de solidarité au Sri Lanka
11 octobre 2006
La Mission internationale
La Mission internationale pour la liberté de la presse et la liberté d'expression (ou Mission internationale) est composée d'organisations internationales pour la liberté de la presse et d'aide aux médias. Une délégation de cinq représentants a été envoyée au Sri Lanka pour une mission d'enquête et de solidarité entre le 9 et le 11 octobre 2006.
Les objectifs de cette mission étaient d'évaluer la situation des médias dans le pays et l'impact de l'escalade de la violence entre le gouvernement sri lankais et les Tigres tamouls (LTTE).
La Mission internationale a examiné la situation actuelle des médias en cingalais, tamoul et anglais au Sri Lanka, et une attention particulière a été portée à la répression des médias tamouls, qui sont l'objet d'attaques répétées, en particulier dans les régions affectées par les combats. La libre circulation de l'information a été mise à mal dans le Nord et l'Est, ce qui a de fait empêché la diffusion d'informations sur la situation dans ces régions. Les communautés locales sont maintenant vulnérables aux rumeurs et aux discours incitant à la haine. Dans les régions contrôlées par le LTTE, les journalistes sont empêchés de travailler librement et par conséquent la liberté d'expression est sévèrement restreinte.
Lors de la mission, les organisations internationales ont renforcé le dialogue et les relations avec les médias sri lankais. Elles ont par ailleurs exprimé auprès des autorités et des forces combattantes leur vive préoccupation au sujet de la liberté de la presse. La mission a particulièrement insisté sur l'importance primordiale de la liberté d'expression comme l'un des composants fondamentaux d'une société démocratique et un élément essentiel à la construction d'une paix durable.
La mission a rencontré des personnalités et des institutions représentants toutes les opinions sur la situation des médias et de la liberté de la presse, notamment des journalistes, des directeurs de médias, des experts juridiques, des représentants du gouvernement, des partis politiques, des forces de sécurité et de la communauté internationale.
Sécurité
La mission a conclu à une sérieuse détérioration de la sécurité au Sri Lanka. Les médias et les journalistes sont victimes de menaces, d'enlèvements et d'agressions commises par toutes les parties au conflit, en particulier les milices et les groupes paramilitaires. Huit professionnels des médias ont été tués depuis août 2005 et il y a eu de nombreux cas de menaces de mort, de harcèlements et de violentes tentatives de stopper la distribution des journaux. De plus, même dans les cas où il existe des preuves permettant d'identifier les meurtriers, aucune mesure n'a été prise par les autorités compétentes.
Ceux qui soutiennent une résolution du conflit par le dialogue sont souvent accusés de « trahison ». Des sympathisants à l'une ou l'autre des parties diffusent régulièrement des discours incitant à la haine. En conséquence, de nombreux journalistes se cachent, certains depuis plus de six mois, pendant que d'autres reçoivent des menaces à l'encontre de leur famille.
Censure
La mission a conclu que la censure existait, bien qu'elle soit souvent imposée de façon indirecte. Le gouvernement a approuvé en juin, sans toutefois la mettre en application, la réintroduction d'un contrôle étatique des médias à travers le Conseil de presse du Sri Lanka et, en août, le Président aurait dit que les militaires souhaitaient censurer les médias. Quelqu'en soit son intention, la lettre envoyée par le ministre de la Défense aux médias, le 20 septembre 2006, a été vue comme une tentative d'imposer la censure. En outre, l'acharnement de certains politiciens à dénoncer les médias renforce l'auto censure et fait de la liberté de la presse une activité dangereuse.
De plus, la fermeture par les autorités des services de télévision par satellite a entravé l'accès aux programmes étrangers d'information. L'interdiction sélective de téléfilms et l'entrave à la projection de films à l'étranger et les ingérences dans le processus d'accréditation sont préoccupantes.
Réformes des médias
Les législations d'urgence adoptées le 18 août 2005 donne au gouvernement des pouvoirs étendus pour contrôler les médias. Mais elles n'ont pas été pour l'instant utilisées. La Loi sur les secrets officiels (OSA) fait de la diffusion de « secrets officiels », à la définition très vague, un délit. De plus, la Loi sur le Conseil de la presse (PCL) de 1973 interdit la divulgation de certaines décisions et documents du gouvernement, de certaines informations sur la sécurité, de même qu'un ensemble de questions financières.
Le gouvernement n'a cependant toujours pas mis en application la Loi sur la liberté d'information, bien qu'elle a été approuvée lors d'une réunion du gouvernement en 2003. La législation sur le secteur audiovisuel dans le pays n'apporte aucune indépendance éditoriale. Les médias étatiques devraient refléter les valeurs du service public. Le gouvernement conserve le contrôle des Associated Newspapers of Ceylon (ANCL ou “Lake House”) malgré les demandes de plusieurs comités à se désengager.
Observations et Recommandations
Sur la base de l'enquêtes de la mission et des informations déjà recueillies auparavant par les organisations internationales, la Mission internationale appelle le gouvernement, les forces de sécurité, le LTTE, les partis politiques et la communauté des médias, là où elles en ont l'autorité, de s'engager clairement :
- A RECONNAÎTRE le rôle primordial d'un journalisme indépendant, intègre, équitable et précis dans la réduction des tensions et de l'insécurité. A applaudir le courage et le professionnalisme des journalistes impliqués dans la recherche d'une information sûre et exacte. Une presse libre incarnant ces principes est un élément central pour atteindre une paix significative et durable.
- A ARRÊTER immédiatement tous harcèlements, menaces, enlèvements, attaques et exactions commis contre les journalistes et les médias, et plus particulièrement ceux en tamoul, par toutes les parties au conflit. La Mission internationale rappelle que les combattants ont cette responsabilité en vertu de l'article 3 des Conventions de Genève.
- A PROMETTRE des enquêtes exhaustives, complètes, transparentes et diligentes dans les cas de meurtres et de menaces contre des journalistes et leur famille, mettant ainsi fin à l'impunité dont jouissent leurs auteurs. Ces enquêtes doivent concerner les assassinats de Relangi Sevaraja, Subramaniyam Sugirdharajan, Dharmeratnam Sivaram, Suresh Kumar, Ranjith Kumar, Lakmal de Silva, Mariathas Manojanraj et Sinnathamby Sivamaharajah. Tout en reconnaissant que les attaques ont été menées par toutes les parties en présence, la Mission internationale estime que le gouvernement assume la responsabilité ultime dans cette situation d'impunité et qu'il doit s'assurer que ceux qui attaquent des journalistes soient arrêtés et poursuivis en accord avec la Déclaration de Colombo adoptée lors de la Journée Mondiale de la Liberté de la Presse par l'UNESCO le 2 mai 2006. Dans ce contexte, la Mission se félicite de la promesse du porte-parole du gouvernement sur les affaires de Défense, Keheliya Rambukwella, que des enquêtes seront relancées sur ces affaires et que les résultats seront rendus public.
- A S'ENGAGER à ce que tous les moyens soient mis en œuvre sans délai afin de garantir la sécurité des journalistes et que leurs activités ne soient pas menacées. Les directeurs et les propriétaires de médias doivent également s'engager, dans la mesure de leurs moyens, à garantir la sécurité de leurs journalistes.
- A CESSER les interférences dans la ligne éditoriale et à ce sujet la Mission internationale prend acte de l'engagement de Keheliya Rambukwella que les militaires et les policiers ne doivent pas être impliqués dans des actes tentant d'influencer le contenu des médias.
- A AUTORISER tous les médias à accéder à toutes les régions du pays.
- A ARRÊTER la pratique dangereuse et irresponsable de vilipender les journalistes, mettant ainsi en danger leur vie et celle de leur famille. Les autorités, les partis politiques et les personnalités doivent démontrer clairement qu'ils condamnent les appels à la haine contre les médias.
- A REVENIR sur les actions légales mises en place pour limiter la liberté de la presse et la liberté d'expression. Et d'empêcher toutes tentatives d'introduire une quelconque forme de censure directe ou indirecte.
- A PERMETTRE aux professionnels des médias de travailler en toute sécurité et en toute indépendance dans un environnement médiatique ouvert, diversifié et pluriel en accord avec la Constitution du pays, la Déclaration universelle des droits de l'homme des Nations Unies et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (ICCPR).
- A REVOIR la présente législation sri lankaise, en particulier les régulations d'exception d'août 2005, la Loi sur les Secrets Officiels, les lois sur le Conseil de la Presse, les lois sur l'audiovisuel et la loi sur l'insulte à la cour. Face aux tentatives de plus en plus pressantes d'établir un Conseil de la presse coercitif, il est nécessaire que soient respectés les mécanismes d'auto régulation de la presse écrite.
- A RECONNAÎTRE que le libre accès à l'information est un droit fondamental pour tous et d'appliquer la Loi sur la liberté d'information en accord avec les standards internationaux.
- A TRANSFORMER dans les plus brefs délais les médias d'Etat en médias publics, et d'écrire une législation qui assure l'indépendance éditoriale du service public, des sites Internet et des titres de l'Associated Newspapers of Ceylon (ANCL ou “Lake House”). Il est également urgent d'annuler la fermeture arbitraire des services de télévision par satellite.
La Mission internationale loue les efforts des médias nationaux et des organisations de journalistes (Sri Lanka Press Institute, Working Journalists Association of Sri Lanka, Free Media Movement, Sri Lanka Muslim Media Forum, Tamil Media Alliance et la Federation of Media Employees Trade Union) pour leurs efforts en faveur de la liberté de la presse.
La Mission internationale souhaite insister sur son engagement solidaire en faveur des médias du Sri Lanka et affirme qu'elle continuera à surveiller scrupuleusement les atteintes à l'encontre des journalistes. En surveillant la situation actuelle, la Mission internationale portera à la connaissance des forums nationaux et internationaux, toute nouvelle attaque ou violation de la liberté de la presse. Elle assurera, en outre, son soutien dans la défense de la liberté de la presse et l'amélioration de la sécurité des médias sur le terrain.
Les organisations qui ont participé à la mission au Sri Lanka sont la Fédération internationale des journalistes, International Media Support, International Press Institute, International News Safety Institute et l'UNESCO.
La Mission internationale comprend quinze organisations internationales de défense de la liberté de la presse et d'aide aux médias :
1. ARTICLE 19
2. FreeVoice
3. International Federation of Journalists (IFJ)
4. International Media Support (IMS)
5. International Press Institute (IPI)
6. International News Safety Institute (INSI)
7. Reporters sans frontières (RSF)
8. South Asia Press Commission (SAPC)
9. United Nations Educational, Scientific and Cultural Organization (UNESCO)
10. World Association of Community Radio Broadcasters (AMARC)
11. World Association of Newspapers (WAN)
12. World Press Freedom Committee (WPFC)