La liberté de la presse exsangue en Afghanistan : 12 médias fermés par les talibans en moins d’un an

Depuis avril 2024, les autorités talibanes ont fait fermer au moins 12 médias publics et privés. Sept employés d’Arezo TV, la dernière chaîne bâillonnée, ont été emprisonnés à Kaboul. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités talibanes à les libérer immédiatement et condamne ces fermetures inacceptables.

Informations commentées sur la politique des talibans, musique, reportages avec des êtres vivants représentés, ou séries de fictions estimées “contraires aux valeurs de l’islam”,  sont autant de contenus considérés comme “transgressifs”, qui ont conduit à la fermeture d’au moins 12 médias, publics et privés, dans six provinces d’Afghanistan cette année. Parmi eux, 11 chaînes de télévision et une radio – trois autres radios, fermées temporairement, ont pu émettre à nouveau à condition de s’engager à ne plus diffuser de musique.  

La chaîne Arezo TV à Kaboul est la dernière victime en date de cette répression : ses bureaux ont été ciblés, le 4 décembre, par un raid d’agents des services de renseignements (GDI), accompagné d’un représentant du ministère de la Promotion de la vertu et la Répression du vice. “Ils sont arrivés avec une liste des employés, raconte un témoin qui a souhaité gardé l’anonymat, ils ont insulté et maltraité le personnel, confisqué les téléphones portables, 60 disques durs et trois ordinateurs.” La chaîne a été accusée de liens avec des médias afghans en exil et de diffusion de feuilletons jugés “contraires aux valeurs islamiques”. Ses locaux ont été scellés. Sept de ses employés, dont le directeur du bureau de Kaboul Amanullah Azimi, et le présentateur Khalid Barakzai, ont été arrêtés et incarcérés dans la prison de Pul-e-Charkhi, à l'est de la ville. L'affaire sera présentée au tribunal de première instance de Kaboul par le ministère taliban de la Promotion de la vertu et de la Répression du vice. 

“Le durcissement idéologique des talibans ces derniers mois agit comme un accélérateur de la répression et accentue la menace pesant sur les médias en Afghanistan. La multiplication d’interdiction des images d’être vivants dans certaines provinces, notamment, a conduit à la fermeture en série de chaînes de télévision. Mais les médias de la capitale ne sont pas épargnés, comme l’illustre la descente brutale contre Arezo TV en plein Kaboul. RSF exige la libération immédiate des employés d’Arezo TV emprisonnés et appelle à la réouverture sans condition de tous les médias réduits au silence, afin qu’ils puissent exercer librement leur mission d’informer.

Célia Mercier
Responsable du bureau Asie du Sud de RSF

Images interdites

Ce climat oppressant s’inscrit dans une intensification des interdictions. En octobre, les autorités talibanes ont annoncé vouloir mettre en œuvre la nouvelle loi sur la promotion de la vertu et la répression du vice, signée fin juillet par le chef suprême des talibans. Celle-ci impose notamment l’interdiction de diffuser toute image représentant des êtres vivants. Sept chaînes de télévision ont dû interrompre leurs opérations sous l’effet de directives locales subséquentes dans plusieurs provinces : la province de Kandahar dès le mois d’août, puis celles du Helmand, su Takhar et de Badghis. Dans la province de Nangarhar, une interdiction similaire a été annoncée, mais elle n’est appliquée que pour la branche locale de la télévision nationale (RTA).   

Dans la province de Badghis, la seule chaîne de télévision encore partiellement ouverte, la chaîne privée Oboor ne diffuse plus qu’une heure de programme par semaine. Elle n'est pas autorisée non plus à publier des images d'êtres vivants sur sa page Facebook, ni à produire des programmes en extérieur ou à réaliser des interviews avec les autorités locales. 

Silence sur les ondes

La situation est aussi pesante pour les radios dans la région de Khost, au sud-est du pays. Trois radios ont été fermées temporairement en octobre et novembre pour avoir enfreint l’interdiction de diffusion de musique ou d’appels de femmes, une nouvelle restriction annoncée en février. En avril, dans la province orientale de Laghman, c’est cette fois la Direction générale des renseignements (GDI) qui a fermé une station de radio privée, sous prétexte qu'elle était la “propriété du gouvernement”.

Un tour de vis politique

Toujours en avril, deux chaînes de télévision privées liées à des figures politiques ont été fermées : Noor TV et Barya TV, accusées de ne pas respecter les “valeurs nationales et islamiques”Noor TV s’est vue reprocher d’avoir diffusé de la musique, et le fait que son personnel féminin n’ait pas le visage couvert. Lancée en 2007, la chaîne est soutenue par Salahuddin Rabbani, ancien ministre des Affaires étrangères et chef du parti Jamiat-e-Islami. Lancée en 2019, Barya TV a été sanctionnée en raison de la diffusion des propos de son propriétaire, Gulbuddin Hekmatyar, seigneur de guerre et chef du parti Hezb-e-Islami, sur les relations entre les talibans et les États-Unis.

Depuis le retour au pouvoir des talibans, scellé par la prise de Kaboul le 15 août 2021, au moins 141 journalistes ont par ailleurs été victimes d’interpellations ou de détention. Depuis le 1er janvier 2024, 25 journalistes ont été victimes d’une interpellation ou d’une arrestation, dont le quart pour lien avec des médias en exil. A la date du 18 décembre, 7 journalistes sont toujours derrière les barreaux.

 

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