La future Assemblée tunisienne doit faire de la liberté de la presse une de ses priorités

Alors que la Tunisie s’apprête à renouveller son Assemblée des représentants du peuple, Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète que la question de la liberté de la presse ne fasse l’objet d’aucun débat, malgré la condamnation récente d’un journaliste à un an de prison et les pressions qui se multiplient sur les journalistes.

“L'instrumentalisation de lois existantes pour poursuivre les journalistes est une dangereuse dérive qui rappelle les travers de l’ancien État policier de Ben Ali. Ces nouvelles atteintes au droit d’informer confirment la nécessité de mieux protéger l’exercice du journalisme en Tunisie. L’indifférence actuelle autour de cette question doit être remplacée par un sentiment d’urgence. La future Assemblée doit faire de la liberté de la presse une de ses priorités, avant qu’il ne soit trop tard et que les acquis de la révolution de 2011 ne soient totalement perdus.

Khaled Drareni
Représentant de RSF en Afrique du Nord

Le 17 décembre 2022, les Tunisiens sont appelés aux urnes pour élire leurs nouveaux députés. La question de la liberté de la presse n’a fait l’objet d’aucun débat majeur lors de la campagne électorale, alors même que l’actualité a été marquée ces dernières semaines  par des atteintes graves à ce principe fondamental. En effet, un journaliste a été condamné à un an de prison ferme après avoir publié un article sur une cellule terroriste et un autre a été convoqué et interrogé pour un article critique de l’action gouvernementale.

Dans le premier cas, le journaliste a été jugé sur la base de la loi anti-terroriste, dans le deuxième, ce sont les dispositions controversées du tout récent décret-loi 54 sur les crimes liés aux systèmes d’information et de communication qui ont été invoquées. Au détriment de la législation sur la presse existante. 

La condamnation le 29 novembre dernier à un an de prison ferme du journaliste de la radio privée Mosaïque FM, Khelifa Guesmi, a créé un dangereux précédent. Le journaliste a été jugé par un tribunal spécialisé dans les affaires de terrorisme. Son article sur le démantèlement d’une cellule terroriste lui a valu d’être condamné pour “divulgation intentionnelle d’une information relative aux opérations d’interception, d'infiltration, de surveillance audiovisuelle ou de données qui y sont collectées”. La justice reproche au journaliste d’avoir porté préjudice au déroulement de l’enquête. Ses avocats ont plaidé, en vain, le fait que l’article n’avait en rien gêné l’opération de démantèlement, qu’il valorisait même “les efforts des agents de sécurité” et que rien surtout ne justifiait qu’il soit arrêté et jugé en vertu des dispositions de la loi antiterroriste, vu qu’il n’existait aucun élément démontrant l’existence d’une motivation liée au terrorisme. Le journaliste a annoncé son intention de faire appel. 

L’article 11 du décret-loi 115 (relatif à la liberté de la presse) qui dispose que “sont protégées les sources du journaliste dans l’exercice de ses fonctions, ainsi que les sources de toute personne qui contribue à la confection de la matière journalistique.” n’a par ailleurs pas été respecté. Lors de son arrestation, Khelifa Guesmi s’est vu confisqué son téléphone. l’examen minutieux de ses communications ont conduit à l’identification de sa source, un policier qui a été condamné à trois ans de prison. 

Parallèlement, un autre journaliste a fait l’objet de pression sur la base du très contesté décret-loi 54 sur la cybercriminalité adopté en septembre dernier. Le directeur de la rédaction du média en ligne Business News, Nizar Bahloul a été convoqué et interrogé par les services de sécurité le 14 novembre, quatre jours après avoir publié un article intitulé Najla Bouden, la gentille woman… Dans son papier, le journaliste tirait un bilan peu flatteur de l’action de la cheffe du gouvernement, dénonçait la cherté de la vie et l’aggravation des problèmes sociaux en Tunisie. Nizar Bahloul est le premier journaliste à être poursuivi sur la base de ce décret-loi dont RSF avait demandé l’abrogation en raison de son caractère liberticide. 

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