Le directeur de l'information de cette chaîne tout info, Ammad Yousaf, vient d’être arrêté, et le signal de diffusion est bloqué dans la plupart des grandes villes du Pakistan. Reporters sans frontières (RSF) condamne cette censure brutale qui porte le sceau des pratiques de l’état-major militaire, et appelle les autorités civiles à agir pour rétablir la diffusion d’ARY News et abandonner les charges qui pèsent contre ses journalistes.

“En dépit des alternances politiques, les mêmes pratiques grossières de censure et de harcèlement des journalistes critiques du pouvoir en place se répètent, déplore le directeur du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Mais ne nous y trompons pas : si l’actuel gouvernement doit être tenu responsable de ces attaques contre la presse, c’est bien l’institution militaire qui, en coulisses, agit pour mettre le journalisme pakistanais au pas. Ces violations doivent cesser immédiatement ; il en va de la crédibilité de l’état de droit au Pakistan."

Il a été réveillé en pleine nuit par un groupe de policiers en civil venus l'interpeller : hier mercredi 10 août, le directeur de l’information d’ARY News, Ammad Yousaf, par ailleurs vice-président du groupe ARY, a été arrêté à son domicile de Karachi, dans le sud du pays. Bien qu’aucun mandat n’ait été présenté lors de son interpellation, il est actuellement détenu sur la base des articles 120, 124-A, 131 et 153-A du Code pénal pakistanais, qui punissent entre autres la “sédition”, la "complicité de mutinerie” et les “conspirations criminelles”.

Chasse aux sorcières

Visés par des chefs d’accusations similaires, plusieurs autres représentants de la chaîne sont sous le coup d’une arrestation, comme le directeur et propriétaire d’ARY News, Salman Iqbal, le producteur Adeel Raja et les présentateurs Khawar Ghuman et Arshad Sharif. Ce dernier a d’ailleurs choisi de quitter le pays ce mercredi 10 août, de peur de se retrouver derrière les barreaux.

Cette arrestation fait suite au blocage de la chaîne, dont le signal est, de fait, inaccessible depuis le 8 août dans plusieurs villes du Pakistan. La décision émane de l’autorité de régulation des médias, la Pakistan Electronic Media Regulatory Authority (Pemra), qui a la main haute sur les opérateurs de télédiffusion. En l’occurrence, l’ordre de suspension, déclaré valable “jusqu’à nouvel ordre”, a été prononcé au motif de la diffusion de “fausses informations” et de “contenus encourageant la haine et la sédition contre l’armée”.

L’arrestation d’Ammad Yousaf ainsi que la suspension de la chaîne ARY News dans plusieurs villes du Pakistan sont entachées de multiples violations des procédures légales, dénonce le représentant de RSF au Pakistan, Iqbal Khattak. Cette chasse aux sorcières témoigne du mépris du gouvernement en place pour la liberté de la presse - ce qui va clairement à l’encontre des engagements pris par le Premier ministre Shehbaz Sharif plus tôt cette année.

Dans un tweet publié le lundi 8 août, en réaction au blocage soudain de la chaîne, Salman Iqbal a expliqué qu’ARY News était censurée “pour avoir révélé la vérité”. Au reste, le même jour, également sur Twitter, Hina Parvez Butt, un cadre de la Ligue musulmane du Pakistan (PML-N), parti actuellement au pouvoir, a reconnu que l’ordre de censure émanait bien du gouvernement. Son tweet a, depuis, été supprimé.

Respect de la déontologie

La Pemra, le “gendarme” de l’audiovisuel au Pakistan, motive son ordre de censure par la diffusion d’un reportage d’ARY News dans lequel témoigne Shahbaz Gill, qui est actuellement directeur de cabinet de l’ancien Premier ministre Imran Khan, dont la coalition a été renversée en avril 2022. 

Cette personnalité influente de l’opposition y accuse notamment l’actuel gouvernement de mener une campagne pour liguer l’armée contre son parti. Des propos qualifiés de “hautement séditieux” par la Pemra - quand bien même la rédaction d’ARY News s’est clairement distanciée de ce témoignage en en présentant la dimension militante, respectant en ce sens la déontologie journalistique.

ARY News n’en reste pas moins totalement inaccessible dans les grandes villes comme Karachi, Lahore ou la capitale, Islamabad. Curieusement, à Rawalpindi, la ville du nord du pays où sont basés les quartiers généraux de l’armée, la chaîne est toujours accessible, mais son numéro de diffusion a été relégué dans les tréfonds du bouquet de chaînes accessibles aux téléspectateurs pakistanais. 

Proximité entre la Pemra et l’armée

La ligne éditoriale d’ARY News est réputée proche du Mouvement du Pakistan pour la justice (PTI), aujourd’hui dans l’opposition, et relaie régulièrement des informations critiques contre le gouvernement actuel.

Or, la censure arbitraire dont elle est aujourd’hui la cible rappelle en tout point celle qui a prévalu sous le gouvernement précédent. En juillet 2019, RSF avait révélé que le blocage soudain de trois autres chaînes tout info, AbbTakk TV, 24 News et Capital TV, était lié, là aussi, à la diffusion de l’interview d’une figure de l'opposition d’alors, Maryam Nawaz - laquelle n’est autre que la nièce de l’actuel Premier ministre, Shehbaz Sharif. Déjà à cette époque, la Pemra était à la manœuvre. 

La répétition de ces situations, en dépit des alternances politiques, tend à confirmer la grande proximité de la Pemra avec l’institution militaire et son tout-puissant organe de communication, les Inter Services Public Relations (ISPR).

L’armée pakistanaise tient, en effet, un rôle prépondérant dans les rouages du pouvoir civil à Islamabad et, comme l’analysait RSF le mois dernier, il est devenu monnaie courante que des journalistes soient intimidés ou harcelés en raison de leurs critiques envers l’état-major militaire.

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