Avec l’entrée en vigueur du Border Force Act le 30 juin 2015, l’Australie témoigne d’une volonté inquiétante de bloquer l’accès à l’information concernant le traitement des réfugiés au sein de ses centres de détention. Au nom de la sécurité nationale, cette loi place sous le sceau du secret les conditions de vie souvent déplorables des demandeurs d’asile, considérées comme des informations “protégées”.
Le 30 juin 2015 est entré en vigueur le
Border Force Act en Australie. Ce texte, approuvé par les deux principaux partis australiens, prévoit une peine de deux ans d’emprisonnement pour les personnes travaillant dans des centres de détention qui divulgueraient des informations sur les conditions de vie et le traitement des réfugiés, placés dans des camps de rétention sur l’île de Manus, en Papouasie-Nouvelle-Guinée ou sur l’île de Nauru, dans l’océan Pacifique. Sans l’autorisation préalable du Département de l'immigration et de la protection des frontières, médecins et professionnels de santé intervenant dans ces centres auront désormais l’interdiction de témoigner des conditions de vie de ces migrants et de reporter le cas échéant d’éventuels abus et violations des droits de l’homme. Les personnes travaillant dans les centres de détention australiens sont pourtant les seules à pouvoir endosser le rôle de lanceurs d’alerte sur ce qui se passe dans ces centres fermés.
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Reporters sans frontières condamne fermement l’entrée en vigueur de cette loi, qui revient à censurer toute source d’informations sur la question problématique des réfugiés en Australie, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières.
Véritables lanceurs d’alerte potentiels, les médecins et autres personnels soignants ont longtemps été les seuls à pouvoir témoigner des conditions de santé des personnes détenues dans ces centres. Ils représentent en cela des relais entre ces lieux fermés et secrets, les médias et l’opinion publique. En menaçant ce chaînon essentiel à l’accès à l’information, les autorités australiennes font preuve d’un mépris manifeste du droit qu’ont les citoyens de questionner l’approche du gouvernement en matière de droits de l’homme et de démocratie.”
En 2011 déjà, suite à la mort de plusieurs réfugiés durant leur détention,
une réglementation avait sévèrement restreint l’accès des journalistes à ces structures, portant gravement atteinte au droit à l’information censé être garanti par la loi.
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(Le gouvernement) essaie d’empêcher que toute information sur les conditions de détention dans ces centres ne parvienne au public", commente Julian Burnside, juriste renommé officiant à Melbourne. L’avocat des droits de l’homme George Newhouse ajoute qu’“
un journaliste qui recueille un témoignage ou des preuves d’une personne travaillant dans les centres peut être poursuivi pour complicité et incitation à commettre une infraction.”
La question critique des réfugiés en Australie
De nombreuses voix se sont élevées contre cette nouvelle tentative de réduire au silence les médecins, les travailleurs sociaux ainsi que les employés des centres se rendant témoins de violations des droits de l'homme et des abus dont pourraient être victimes les demandeurs d’asile. Un
collectif réunissant des travailleurs de la santé a tenu des rassemblements dans différentes villes d’Australie pour protester contre le Border Force Act. Pour l’une de ses membres, le docteur Maria Fiatarone Singh, les médecins ont une responsabilité, en tant que praticiens et en tant que citoyens, de signaler et dénoncer les abus en matière de droits de l’homme. Si de nombreux opposants à la loi ont indiqué qu’ils la contourneraient, cette dernière redoute néanmoins que “
beaucoup de médecins craignent le licenciement ou l’emprisonnement, prévus par la loi”.
Dans un
rapport présenté au Conseil des droits de l'homme le 9 mars 2015, Juan E. Méndez, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, avait dénoncé la performance de l’Australie en matière de traitement des réfugiés. Le rapporteur spécial s'inquiétait des conditions du placement obligatoire en rétention des immigrants, y compris des enfants, dans les centres régionaux en Papouasie-Nouvelle-Guinée et à Nauru. Selon le rapport, l’Australie ne leur garantit pas une protection suffisante, en violation de ses obligations découlant de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants. Les conditions de détention des demandeurs d'asile dans les centre australiens, mais aussi les récentes modifications apportées aux lois maritimes, contreviendraient ainsi aux conventions internationales en matière d’immigration. Le gouvernement australien avait vigoureusement contesté ces conclusions.
L’Australie se situe à la
25e place sur 180 pays du Classement mondial de la liberté de la presse 2015 établi par Reporters sans frontières.