Le placement en détention provisoire de trois journalistes dont deux reporters britanniques, dans la soirée du 31 août 2015, constitue une première depuis 1998. Reporters sans frontières (RSF) réclame leur remise en liberté immédiate et la levée des charges absurdes portées contre eux.
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Une fois de plus, les autorités turques utilisent la législation antiterroriste pour faire taire des journalistes enquêtant sur des sujets qui dérangent. Dans la soirée du 31 août, un tribunal de Diyarbakir (plus grande ville du Sud-Est, à majorité kurde) a ordonné le placement en détention provisoire de trois collaborateurs de
VICE News, dont les ressortissants britanniques
Jake Hanrahan et
Philip Pendlebury, au terme de leur garde à vue. Les trois hommes avaient dans un premier temps été accusés de filmer sans accréditation, avant d'être inculpés de collusion avec un groupe terroriste.
Contacté par RSF, leur avocat Ahmet Ay précise qu’ils sont inculpés sur la base de l’article 220 du code pénal, qui réprime les “crimes commis au nom d’une organisation” terroriste au même titre que l’appartenance à cette organisation. Le secret de l’enquête ne permet guère d’en savoir plus à ce stade. Les journalistes avaient été interpellés avec leur chauffeur, à Diyarbakir, dans la soirée du 27 août. Leur matériel avait été saisi et leurs chambres d’hôtel perquisitionnées.
Autant le placement en détention provisoire de journalistes turcs sur la base d’accusations mal étayées est monnaie courante en Turquie, autant il est extrêmement rare que des journalistes étrangers subissent le même sort. Lorsqu’ils sont mis en cause par la justice turque, ces derniers sont généralement remis en liberté conditionnelle au terme de leur garde à vue, ou dans le pire des cas, expulsés. D’après les données de RSF, le dernier journaliste étranger incarcéré était l’Italien
Dino Frisullo, emprisonné quelques mois en 1998.
“En incarcérant arbitrairement des journalistes étrangers, les autorités franchissent un nouveau palier dans leur mépris pour la liberté de la presse, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale de RSF.
Cette affaire est une énième illustration du caractère liberticide de la législation antiterroriste turque : malgré les timides réformes engagées ces dernières années, son caractère fourre-tout permet toujours d’accuser arbitrairement quiconque dérange les autorités. Nous exigeons la remise en liberté immédiate des trois journalistes, qui ne faisaient que leur travail en documentant un sujet d’intérêt général.”
Pour
Kevin Sutcliffe, directeur de l’information pour l’Europe à VICE News, les accusations émises à l’encontre de ses trois collaborateurs sont “sans fondement et d’une fausseté alarmante.” Elles ne servent qu’à “les intimider et censurer leur travail.”
Les violations de la liberté de l’information
se multiplient depuis le lancement par Ankara, fin juillet, d’une “guerre contre le terrorisme” visant essentiellement le PKK, parti kurde interdit en Turquie. Le processus de paix entre les autorités et les rebelles kurdes, engagé fin 2012, a volé en éclats, et le bilan humain ne cesse de s’alourdir. La Turquie occupe la 149e place sur 180 au
Classement mondial 2015 de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières.