L’assassin du journaliste Hrant Dink pourrait être relaxé
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Reporters sans frontières exprime son indignation et sa consternation face à la possible relaxe d’Ogün Samast, assassin présumé d’Hrant Dink, directeur de publication de l’hebdomadaire Agos, tué par balles le 19 janvier 2007, devant les locaux de son journal.
Ogün Samast avait été interpellé le 20 janvier 2007, à la gare routière de Samsun (Nord) alors qu’il tentait de se rendre dans la région de Trazbon. Il est détenu depuis lors dans la prison de type F de Kandira, au sud d’Istanbul.
Il est inculpé avec 19 autres personnes, dont les commanditaires présumés Yasin Hayal et Erhan Tuncel, pour l’homicide du journaliste et l’appartenance à un groupe terroriste. Cependant, le procès (en cours actuellement) n’a pas permis d’identifier les vrais responsables au sein de l’appareil d’Etat.
Le 25 octobre 2010, la 14e chambre de la cour d’assises d’Istanbul a transféré le dossier d’Ogün Samast au tribunal d’assises pour enfants d’Istanbul, l’accusé étant âgé de 17 ans au moment des faits. Or, selon la loi sur les procédures pénales (CMK), un mineur ne peut être détenu plus de cinq ans s’il n’a toujours pas été reconnu coupable et que sa peine n’a pas été confirmée dans ces délais. Ogün Samast pourrait donc, en vertu de cette loi, être libéré en janvier 2012.
Le transfert du dossier d’Ogün Samast constitue un énième contretemps dans le procès qui doit déterminer les responsables de la mort du journaliste. Le 6 janvier 2011, l’avocate d’Hrant Dink, Fethiye Cetin, a publié un rapport dénonçant les trop faibles avancées du procès. Selon elle, il ne fait aucun doute que les forces de police et la gendarmerie de Trabzon ainsi que la police d’Istanbul et les renseignements généraux ont tout fait pour dissimuler les pièces à convictions qui pourraient établir leur éventuelle implication dans cette affaire. Elle a ainsi déclaré à Reporters sans frontières : “Le meurtre n’est pas l’affaire de trois ou cinq jeunes qui sont passés à l’acte, poussés par des sentiments nationalistes. On ne peut pas non plus parler de quelques fonctionnaires qui se sont infiltrés au sein de l’Etat pour éliminer Hrant Dink. L’Etat est impliqué à tous les niveaux, à commencer par l’état-major de l’armée, la justice, le gouvernement, les forces de l’ordre, les médias, les forces paramilitaires ; tous les acteurs politiques ont joué un rôle dans son meurtre, pour le dissimuler ou pour empêcher que les véritables responsables ne soient identifiés.”
La poursuite, pour la deuxième fois, du journaliste Nedim Sener, auteur du livre “L’assassinat de Dink et les mensonges des renseignements”, prouve à quel point la recherche des commanditaires pose problème aux autorités turques. Inculpé pour “atteinte au secret de la correspondance privée”, “insulte à la personne” et “tentative d’influencer le bon déroulement d’un procès”, le journaliste de Milliyet risquait jusqu’à 12 ans de prison. Il a heureusement été relaxé le 23 décembre 2010.
Les éléments d’enquête apportés dans son livre ont d’ailleurs été utilisés par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui a condamné la Turquie à 133 595 euros de dommages et intérêts pour avoir attenté au droit à la vie, à la liberté d’expression et à un recours effectif d’Hrant Dink. Le 14 septembre 2010, la CEDH a établi que les autorités turques n’ont pas pris les mesures nécessaires pour empêcher l’assassinat du journaliste et qu’aucune enquête efficace et indépendante n’a été menée pour déterminer le rôle des fonctionnaires de l’Etat dans ce meurtre.
Les longueurs et les irrégularités qui entachent la procédure judiciaire révèlent à quel point la justice turque peut être à deux vitesses : rapide à condamner les journalistes pour propagande d’une organisation terroriste, extrêmement lente à juger les coupables de l’assassinat de l’un d’entre eux. Reporters sans frontières s’alarme qu’en raison de la lenteur du processus judiciaire, l’assassin d’Hrant Dink, majeur depuis plus de deux ans, puisse être libéré sans avoir purgé de peine. L’organisation rappelle que le procès avait été tenu à huis clos jusqu’à la majorité d’Ogün Samast afin que ses droits en tant que mineur soient respectés. Il est extrêmement inquiétant pour la lutte contre l’impunité qu’un tel criminel, qui n’a jusqu’à présent fait preuve d’aucun remord ou repentir, soit ainsi relaxé. Enfin, si le déroulement du procès aboutit à sa libération, il est peu probable que les véritables commanditaires du meurtre soient jugés et condamnés. Alors que le 19 janvier prochain, les quatre ans de sa disparition seront commémorés, il est urgent que justice soit enfin faite à Hrant Dink et à sa famille.
La prochaine audience se déroulera le 7 février 2011.
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Updated on
20.01.2016