L'état d'urgence peut-il justifier la censure des médias rouges ?
Organisation :
Depuis l'imposition de l'état d'urgence dans de nombreuses provinces de Thaïlande, notamment à Bangkok, le contrôle sur les médias affiliés ou proches du mouvement rouge s'est considérablement renforcé. Une chaîne de télévision, des stations de radio, des sites Internet et des publications ont été censurés, interdites, fermées de force ou font l'objet de poursuites judiciaires. La plupart de ces médias ont soutenu les manifestations des chemises rouges, lancent parfois des appels violents à l'insurrection, mais ils ont également été les simples relais de revendications légitimes d'une partie de la société thaïe.
Reporters sans frontières considère normal que le bureau du procureur général poursuive des médias ayant diffusé des appels à la violence. Mais nous rappelons que toutes décisions contre un média doit émaner des autorités judiciaires. "Nous demandons ainsi la fin de la censure contre le site d'informations indépendent Prachatai", a affirmé l'organisation.
Reporters sans frontières s'inquiète également des conséquences à long terme pour la liberté de la presse des restrictions imposées par le gouvernement et l'armée en marge de l'état d'urgence. Selon les informations collectées par l'organisation, les autorités ont imposé à toutes les chaînes de télévision publiques des "programmes obligatoires" préparés par Channel 5 (dont la licence de diffusion appartient à l'armée de terre), dans les locaux du régiment d'Infanterie 11 où le CRES avait également installé son siège. Selon un spécialiste thaï des médias, de plusieurs responsables de médias, notamment de radios communautaires, ont été convoqués dans les locaux de ce régiment pour se voir reprocher leur ton trop critique. Cette collaboration des médias avec les autorités a été salué, après l'assaut final sur le camp rouge de Bangkok, par le secrétaire général du ministère de la Défense : "Grâce aux médias, le gouvernement a pu se faire comprendre par les citoyens. Grâce à vous, le gouvernement est toujours là".
Reporters sans frontières a dressé un état des lieux de la "presse rouge".
Médias audiovisuels :
La chaîne People Channel (PTV), liée aux dirigeants du parti favorable à Thaksin Shinawatra, ne fonctionne plus après avoir été bloqué par les opérateurs de câble thaïs. Une nouvelle chaîne Asia Update a été mise en place pour lui succéder (http://www.asiaupdate.tv/). Selon le journaliste rouge Somyos Pruksakasemsuk, Asia Update diffuse par satellite, mais la chaîne parle peu de politique car ses dirigeants ne veulent pas prendre le risque d'être à nouveau censuré.
Des dizaines de radios communautaires, notamment celles basées dans les provinces rouges toujours placées sous état d'urgence, ont été fermées. Selon le quotidien anglophone The Nation, trente-cinq personnels des radios "rouges" ont été poursuivis en justice pour avoir incité les auditeurs à participer aux manifestations des chemises rouges de mars à mai 2010.
Presse écrite :
Le bimensuel Voice of Taksin, interdit, a été récemment remplacé par Red Power. Son rédacteur en chef Somyos Pruksakasemsuk, détenu puis libéré, a été reconduit dans ses fonctions. Les deux autres principales revues liées au mouvement rouge, à savoir Red News et Truth Today, sont aujourd'hui censurées. Red Power a pu paraître car ses fondateurs avaient obtenu une licence de publication avant l'imposition de l'état d'urgence.
Internet :
Même si les sites Internet des principaux médias thaïs n'ont pas été touchés par la censure, les sources alternatives suspectées de soutenir le mouvement rouge, risquent des blocages. A part des sites officiels tels que www.uddthailand.com ou www.norporchorusa.com, des sources d'informations comme www.http://thaienews.blogspot.com ou http://www.thaifreenews2.com, ne sont plus accessibles en Thaïlande. Par exemple, www.nocoup.org animé par Sombat Boonngamanong, a été fermé le jour de la déclaration de l'état d'urgence. Les espaces d'expression de dirigeants charismatiques de l'opposition ont été particulièrement visés, comme la page Facebook de Somyos Pruksakasemsuk, ancien dirigeant syndical.
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Somyos Pruksakasemsuk, rédacteur en chef de Red Power et ancien rédacteur en chef Voice of Thaksin, est un des dirigeants du mouvement. Il a été détenu pendant 21 jours suite à l'assaut final sur le camp rouge à Bangkok. Lors de sa détention, le gouvernement l'a mis sur la liste des personnes interdites de transactions financières. Il a répondu aux questions de Reporters sans frontières.
Quel est l'état actuel de la presse "rouge"?
Il ne reste qu'un seul journal, le nouveau bimensuel "Red Power", alors que nous en avions quatre. Voice of Taksin, notre principal journal, est censuré. Nous nous retrouverions sans presse écrite si nous n'avions pas demandé une licence de publication en octobre 2009 pour Red Power. Mais cette situation est très précaire.
Quelles sont les difficultés que la presse rouge a rencontrées ?
Le gouvernement est imprévisible partial. L'état d'urgence est un instrument qui permet aux autorités de tout censurer, au nom de la sécurité nationale. Ainsi Voice of Taksin a été censuré pour une photo que d'autres journaux thaïs avaient également publiée, sans être inquiétés.
Une autre difficulté se situe dans la distribution. Nous devons constamment inventer de nouvelles techniques pour pouvoir être distribué. Par exemple, nous annonçons que nous distribuons le 3 du mois, mais en réalité nous le faisons le 1er. Cela nous permet de vendre des exemplaires à nos lecteurs avant la censure des autorités. Car quand un numéro du journal est censuré, nous ne pouvons même pas distribuer gratuitement les exemplaires non vendus, qui nous retournés.
Finalement, toute la rédaction a très peur de poursuites judiciaires. Nous sommes obligés de faire extrêmement attention à ce que nous publiions.
Publié le
Updated on
20.01.2016