Journée du Journaliste en Colombie : “La presse colombienne doit être mieux protégée”
A la veille de la Journée du journaliste et à quelques jours de l’investiture du nouveau président Iván Duque, Reporters sans frontières (RSF) déplore l’environnement toujours plus dangereux dans lequel travaille la presse colombienne, confrontée en juillet et en août à deux assassinats et à une inquiétante série de menaces de mort.
A l’occasion de la Journée du Journaliste (Dia del periodista y del Comunicador), ce 4 août 2018, RSF fait part de ses préoccupations après deux nouveaux assassinats de journalistes dans la vallée du Cauca (ouest du pays), Jairo Calderón et Valentín Rúa, ce jeudi 2 août et d’innombrables menaces de mort proférées contre des journalistes en juillet. Ces menaces et violences s’inscrivent dans un contexte de forte polarisation politique et de transition entre le président sortant Juan Manuel Santos et le nouveau président élu Iván Duque, qui prendra officiellement ses fonctions le 7 août. Une transition marquée par la recrudescence des attaques et des tentatives d’intimidations perpétrées par les groupes armés et paramilitaires encore présents dans de nombreuses régions du pays, et qui ont multiplié les offensives contre les défenseurs des droits de l’Homme, les leaders syndicaux et les journalistes considérés comme gênants.
Le 14 juillet, la célèbre journaliste Jineth Bedoya, éditrice adjointe du quotidien El Tiempo et les journalistes du site d’informations en ligne La Silla Vacía se sont retrouvés sur une liste noire de personnalités à abattre diffusée dans un tract signé par le groupe paramilitaire d’extrême droite Bloque Central de Las Águilas Negras.
Le lendemain, María Jimena Duzán, journaliste pour l’hebdomadaire Semana, recevait sur Twitter des menaces de mort anonymes d’une rare violence: “Mme Duzan doit être violée, conspuée, découpée à la tronçonneuse et exposée sur la place Bolivar”. Quelques jours plus tard, la journaliste Vanessa de la Torre, présentatrice pour Noticias Caracol et Blu Radio, était à son tour menacée de mort sur Twitter, pour avoir publié des articles contre l’ex-président Uribe.
La rédaction de RCN Radio, après avoir dénoncé l’assassinat de leaders syndicaux, a été particulièrement touchée par ces attaques, avec pas moins de 5 journalistes menacés de mort par téléphone à plusieurs reprises, dont sa directrice Yolanda Ruiz.
“Les journalistes colombiens jouent un rôle fondamental dans ce contexte politique tendu, en étant les garants du débat démocratique, il est inadmissible qu’ils puissent être les victimes de cette polarisation politique et devenir une cible à abattre, déclare Emmanuel Colombié, directeur du bureau Amérique latine de RSF. Il est urgent de les protéger davantage. La justice colombienne doit identifier et punir les auteurs de ces menaces au plus vite, et créer en son sein une unité spéciale pour les attaques en ligne et sur les réseaux sociaux.”
De nombreux autres journalistes ont été harcelés sur internet et menacés ces dernières semaines : le caricaturiste Matador (El Tiempo), Daniel Samper Ospina (Semana), Ricardo Ruidíaz (indépendant et défenseur des droits de l’Homme), Catalina Vásquez, Jhanuaria Gómez, Laura Montoya, Emiro Goyeneche, Nixon Piaguaje, Giovanny Calcue, Mauricio Rodríguez, Luis Carlos Vélez (La FM) ou encore Juan José Hoyo (El Espectador). Ce dernier, qui enquêtait sur des procédures judiciaires contre des dirigeants politiques, a vu sa maison cambriolée et son matériel professionnel volé.
Cette vague de menaces en ligne observée en juillet est particulièrement préoccupante. En effet, il n’existe aucune entité publique en Colombie pour enquêter ni venir en aide aux victimes de cyberharcèlement. Le 26 juillet, RSF publiait son rapport “Harcèlement en ligne des journalistes : quand les trolls lancent l’assaut”, dans lequel figurent des recommandations détaillées pour faire face à ce type d’attaques.
Outre les menaces, la presse colombienne travaille dans un environnement violent et parfois extrêmement dangereux. Ce jeudi 2 août, deux journalistes ont été assassinés dans la vallée du Cauca (ouest du pays). Jairo Calderón, directeur du quotidien local Contacto, a été abattu par un homme à moto dans la région de Tulúa, et Valentín Rúa, animateur de l’émission ‘Salvajina Stereo’ pour la radio 107.7 FM, a été exécuté d’une balle dans la tête. Les mobiles de ces deux crimes restent encore flous. En mars 2018, une équipe de journalistes équatoriens étaient kidnappés puis assassinés par un groupe dissident des Farc dans la région d'Esmeraldas. Cette région, à la frontière avec l'Equateur, est depuis de nombreuses années une zone de non-droit et un véritable trou noir de l’information, dans laquelle les journalistes ne peuvent accéder sans risquer leur vie. Les régions rurales de Catatumbo, d’Arauca, Putumayo, Caqueta et la vallée de Cauca, très affectées par le crime organisé, le narcotrafic et les conflits terriens, sont également des zones où les journalistes sont vulnérables, régulièrement pris pour cible et doivent souvent se résoudre à l’autocensure.
RSF demande au nouveau président Ivan Duque de faire de la liberté d’information une priorité de son administration et de garantir la sécurité (et l’accès) des journalistes sur l’ensemble du territoire. Cela passe notamment par une augmentation des ressources du mécanisme national de protection des journalistes, l’UNP (Unidad Nacional de Protección) et un renforcement des unités en charge des enquêtes sur les menaces et les crimes commis contre la profession au sein du ministère de la Justice. Il devra enfin oeuvrer à revaloriser, dans son discours public, l’image de la profession et appeler, dans le cadre du dialogue de paix avec les principaux groupes armés, l’ELN (Ejército de Liberación Nacional) et l’EPL (Ejército Popular de Liberación), au respect du travail de la presse.
La Colombie est 130e sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2018.