Iran : RSF demande la libération de Narges Mohammadi, journaliste engagée contre les violences faites aux femmes détenues

La journaliste emprisonnée Narges Mohammadi a de nouveau dénoncé,  dans une lettre, les abus dont sont victimes les femmes détenues en Iran. Reporters sans frontières (RSF) appelle les autorités à faire cesser ces violences et à libérer Narges Mohammadi ainsi que tous les journalistes détenus dans le pays.

Deux semaines après avoir été sanctionnée pour sa lettre révélant les violences commises contre les femmes détenues en Iran, Narges Mohammadi, lauréate du prix du courage de RSF 2022, en a publié une deuxième dénonçant à nouveau ces sévices infligés aux femmes lors de leur arrestation et dans les différents lieux de détention. Évoquant les violences contre les manifestantes dont elle a été témoin, elle déclare dans sa lettre publiée le 18 août : "ce niveau de violence physique lors de l'arrestation et dans les centres de détention illégaux représente une forme de torture systémique visant à créer l'intimidation et la terreur"

Selon le témoignage de la journaliste, les victimes s'abstiennent de rendre publiques les violences psychologiques et physiques qu'elles subissent lors de leurs détentions par crainte d'être menacées ou poursuivies pour de nouvelles accusations, et jugées. "Leurs familles évitent également de partager leurs histoires,” écrit-elle. 

Les procédures contre Narges Mohammadi illustrent les tactiques d'intimidation et de violences perpétrées par le régime iranien à travers ses autorités judiciaires et pénitentiaires. Sa lettre précédente, publiée le 3 décembre 2022 sur son compte instagram géré par sa famille, lui a valu, quelques mois plus tard, l’alourdissement de sa peine d'un an de prison par la branche 29 du Tribunal révolutionnaire, sous la direction du juge Ali Muzloom. Pour avoir dénoncé les violences sexuelles commises par des officiers sur les détenues, elle est désormais condamnée à 10 ans et 9 mois de réclusion et à 145 coups de fouet. La journaliste, autrice du livre White Torture, basé sur les interviews de 16 détenues victimes de violences pénitentiaires, risque d’autres allongements de peine et condamnations avec cinq procès en cours, intentés depuis son dernier emprisonnement le 16 novembre 2021 par le parquet de sûreté d’Evin.

“Plus Narges Mohammadi parle fort et exerce son droit d’informer aussi depuis la prison, plus ses geôliers s’acharnent contre elle avec des punitions abusives à répétition. Mais la journaliste a prouvé qu'elle ne succombera pas aux pressions. Grâce à son courage, le monde sait ce qui se passe derrière les barreaux de la République islamique d’Iran, où sont désormais détenues six autres femmes journalistes. Nous demandons leur libération, ainsi que celle de Narges Mohammadi.

Jonathan Dagher
Responsable du bureau Moyen-Orient de RSF

Si, selon le mari de Narges Mohammadi, Taghi Rahmani, la condamnation à la flagellation n’a pas, à ce jour, été exécutée grâce aux mouvements de solidarité internationale, il reste particulièrement inquiet quant à ses conditions de détention. "Narges paie le prix de ses convictions, pour son choix de prendre la parole", a-t-il déclaré à RSF.

Outre les condamnations successives, depuis 15 mois, la journaliste ne peut plus recevoir d'appels téléphoniques internationaux. Elle est dès lors privée de communication directe avec son mari et ses deux enfants qui vivent en France.

Face aux conditions indignes de détention de Narges Mohammadi, RSF a saisi, le 7 juin dernier, les instances chargées de la protection des droits de l'homme des Nations unies pour les alerter. Le 5 juillet, lors d’une mise à jour orale au Conseil des droits de l’homme, la Mission internationale indépendante d’établissement des faits sur la République islamique d’Iran a fait part de sa préoccupation face à la “détention continue de défenseurs des droits humains et d’avocats défendant les manifestants et d’au moins 17 journalistes.”  

Violences contre les femmes journalistes détenues 

Les témoignages de la journaliste Narges Mohammadi viennent compléter le terrifiant tableau des violences de l'État envers des femmes journalistes qui s’opèrent à l’extérieur comme à l’intérieur de la prison.  

L'exemple le plus récent date du 15 août. Deux jours seulement après sa sortie de prison,  la journaliste Nazila Maroufian a été agressée par un policier qui l’a "frappée violemment par derrière", alors qu'elle se trouvait au poste de police 106 à Téhéran pour récupérer son téléphone confisqué par les autorités lors de sa détention. Témoin de cette scène de violence, la mère de la journaliste a rappelé aux policiers, lors de l'agression, la mort de Mahsa Amini, la jeune kurde dont le décès en garde à vue avait déclenché la vague de protestations le 16 septembre 2022. Celle-ci a été suivie, depuis près d’un an, d’une répression violente à l’égard des journalistes. C'est pour avoir interviewé le père de Mahsa Amini que la journaliste de Roudayd24 a d’ailleurs été arrêtée en premier lieu le 30 octobre 2022. Libérée sous caution le 9 janvier 2023, elle a été condamnée fin janvier à deux ans de prison pour "diffusion de propagande contre le système", puis graciée dans le cadre d’une série d'amnisties. De nouveau arrêtée le 7 juillet 2023 pour “collusion” et “propagande contre le régime”, elle a elle-même été victime de violences pénitentiaires. Souffrant de palpitations cardiaques et de problèmes respiratoires, et transférée à l'hôpital Taleghani, quelques jours avant sa mise en liberté provisoire le 13 août, elle a été de nouveau détenue arbitrairement pendant 24 heures le 14 août, pour avoir publié en ligne une photo d'elle sans son voile dès sa libération.

À ce jour, six autres femmes journalistes sont détenues en Iran, parmi les 25 journalistes emprisonnés : Elahe Mohammadi de Han Mihan et Niloofar Hamedi de Shargh, qui attendent actuellement les verdicts de leurs procès, Melika Hashemi de Shahr News Agency, et les journalistes indépendantes Farzane Yahyaabadi, Maliheh Daraki, et Saeede Shafiei.

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