Inde : RSF dénonce l’inaction coupable de la police après le lynchage de trois reporters à New Delhi
Trois journalistes du site d’information The Caravan ont été brutalement attaqués par une cinquantaine d’individus, dont une journaliste qui a été agressée sexuellement. Reporters sans frontières (RSF) condamne fermement ces agressions et, compte tenu de l’inaction de la police, appelle les autorités indiennes à tout faire pour que les responsables soient traduits devant la justice.
Pendant une heure et demie, ils ont vécu un enfer. L’éditeur photo Shahid Tantray, le rédacteur pigiste Prabhjit Singh et l’une de leurs collègues reporter, qui souhaite rester anonyme, ont été insultés, enfermés, menacés et brutalement battus par une cinquantaine d’individus, le mardi 11 août, dans le nord-est de New Delhi.
Ils étaient venus enquêter sur l’occupation d’une mosquée du quartier de Ghonda par des militants nationalistes hindous qui y avaient accroché, la semaine précédente, des drapeaux safran - symboles de l’hindutva, l’idéologie matrice de leur mouvement.
Alors qu’ils avaient décliné leur identité de journalistes, un déferlement de violence s’est abattu sur les trois reporters, la foule les encerclant sur les invectives d’un individu se présentant comme un secrétaire général du Bharatiya Janata Party (BJP), le parti nationaliste hindou au pouvoir.
Refus d'enregistrer la plainte
“Ils m’étranglaient avec la sangle de mon appareil photo, tandis que d’autres me frappaient”, a confié Shahid Tantray, dont les vidéos réalisées sur place ont été effacées sous les yeux d’officiers de police, tout juste arrivés mais peu enclins à contenir cette vague de violence.
Sa consœur, qui a réussi à s’extraire de la foule, a néanmoins été rattrapée par plusieurs militants qui l’ont prise en photo à son insu, agressée et harcelée sexuellement, l’un d’eux exhibant devant elle ses parties génitales. Elle a interpellé un premier policier, qui s’est contenté de lui conseiller de “résoudre ce conflit entre eux, en leur parlant”. La journaliste a finalement pu rejoindre le poste de police le plus proche, où ses confrères avaient trouvé refuge. En vain : estimant que “personne n’avait subi de blessures graves”, la police a refusé d'enregistrer les plaintes déposées par les journalistes.
Interrogé par RSF ce matin, vendredi 14 août, Shahid Tantray reste impuissant face à l’inaction de la police: “Cela fait trois jours que nous avons rédigé nos plaintes, mais elles n’ont toujours pas été enregistrées et nous n’avons reçu aucun retour de la police. Mes confrères et moi allons continuer à faire la seule chose que nous puissions faire : rapporter la vérité et ne relayer la propagande d’aucun parti.”
“L’intolérable légèreté avec laquelle les policiers ont traité ces faits de violence contre des journalistes tentant de faire leur travail relève clairement de la complicité, estime Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Nous appelons le ministre de l’Intérieur Amit Shah à condamner publiquement ces attaques commises au nom de son parti, et à faire en sorte qu’une enquête soit diligentée pour en identifier les auteurs. Le BJP, et le Premier ministre Narendra Modi, se décrédibilisent en laissant leurs militants violer régulièrement la sécurité des journalistes et, par là même, la liberté de la presse.”
Atteintes répétées
Cet incident est survenu dans un contexte de tensions intercommunautaires qui durent depuis cinq mois et ont éclaté dans ces mêmes quartiers nord-est de la capitale. Début mars, RSF avait dénoncé les attaques visant les reporters couvrant ces affrontements, face auxquelles la police avait alors déjà fait preuve de passivité.
Interrogé par RSF sur le sort de ses trois journalistes, le vice rédacteur en chef de The Caravan Appu Ajith a déclaré que ses collègues et lui étaient “tous extrêmement angoissés par cet incident. Depuis les émeutes en début d'année, et même pendant le confinement, nous avons toujours été prompts à documenter les attaques ciblées visant les musulmans de Delhi, et la complicité de la police, poursuit-il. Mais il est nécessaire que les autorités interviennent pour défendre la liberté de la presse, et ne laissent pas ces actes de violence impunis.”
L’Inde se situe à la 142e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.