Inde : la journaliste Patricia Mukhim poursuivie pour un post Facebook appelant au respect de l’Etat de droit
Elle est accusée d'avoir promu la discorde en publiant sur les réseaux sociaux un message demandant l’application de la justice suite à des violences communautaires. Reporters sans frontières (RSF) appelle la justice indienne a abandonner les plaintes kafkaïennes qui visent la reporter.
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Actualisation
Ce 25 mars, la Cour Suprême indienne, saisie en dernière instance par la rédactrice en chef du Shillong Times Patricia Mukhim, a finalement rejeté les poursuites judiciaires initiées contre la journaliste l'été dernier. RSF salue cette décision qui dénonce les accusations abusives de la police à son égard et espère qu’elle fera jurisprudence pour protéger la liberté d'expression et le droit d'interroger et d'enquêter sur les actions des dirigeants politiques.
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Elle encourt une peine cumulée de dix ans de prison. La rédactrice en chef du Shillong Times, Patricia Mukhim, basée dans l’Etat du Meghalaya, dans le nord-est de l’Inde, traverse un calvaire judiciaire depuis le 4 juillet dernier, date à laquelle elle a publié un message sur Facebook.
La veille, cinq adolescents ont été violemment passés à tabac. Ils étaient issus de la minorité dite “non-tribale” du Meghalaya - un Etat dont la majorité de la population fait partie des “tribus répertoriées”, officiellement reconnues par l’Inde.
La journaliste s’est saisie de ce fait divers pour demander au premier ministre du Meghalaya de veiller à ce que les auteurs de ces violences soient poursuivis. L’occasion pour Patricia Mukhim de rappeler que, lors des violences ethniques qui ont visé les populations non-tribales par le passé, les auteurs ont été systématiquement disculpés, ce qui ferait du Meghalaya un “Etat défaillant”. Et de conclure : “Nos camarades non-tribaux doivent-ils continuer à vivre dans une peur perpétuelle à l’intérieur de leur propre Etat ?”
“Justice pour tous”
Ce message publié sur Facebook vaut aujourd’hui à la journaliste d’être poursuivie par la police au motif de trois articles du code pénal : promotion de la discorde entre groupes sociaux, qui peut coûter cinq ans de prison ; déclaration conduisant à un méfait public, soit potentiellement trois ans derrière les barreaux ; et diffamation, une accusation punie d’un maximum de deux ans d’emprisonnement.
“J’ai posté mon message comme quelqu’un qui croit aux droits humains et à la justice pour tous”, déplore Patricia Mukhim, interrogée par RSF. Son avocat a d’ailleurs porté l’affaire devant la haute cour du Meghalaya, arguant qu’un post Facebook appelant à l’application de l’Etat de droit ne peut pas être considéré comme une promotion de la discorde.
Peine perdue : contre toute logique, les juges de l’Etat ont ignoré cet argument, confirmant récemment la validité de la plainte déposée contre la journaliste. “Je n’ai désormais d’autre choix que de porter l’affaire devant la cour suprême, avec l’espoir d’obtenir enfin justice”, soupire-t-elle.
“Nous appelons les membres de la juridiction suprême indienne à rétablir l’Etat de droit en invalidant les accusations kafkaïennes qui vise Patricia Mukhim, déclare Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-pacifique de RSF. La journaliste fait manifestement l’objet d’une instrumentalisation de la justice, et paie le prix de sa liberté de ton. Il convient de mettre fin à cette mascarade, qui frise le harcèlement judiciaire."
Décisions hostiles
Ce n’est pas la première fois que les juges de la haute cour du Meghalaya rendent une décision hostile à Patricia Mukhim. En mars 2019, RSF révélait que la journaliste et sa directrice de publication, Shobha Chaudhuri, avaient été condamnées à payer chacune 200.000 roupies (2.600 euros) pour outrage à la cour. En fait d’outrage, le Shillong Times avait simplement publié une enquête consacrée à un ordre rendu par l’un des membres de cette même haute cour. Saisie, la cour suprême finira par annuler cette décision.
En avril 2018, RSF avait déjà interpellé les autorités indiennes après que le domicile de Patricia Mukhim fut attaqué au cocktail Molotov, vraisemblablement en représailles à une enquête qu’elle avait menée sur des activités minières illégales impliquant des éléments du gouvernement.
L’Inde occupe la 142e place sur 180 pays dans le Classement mondiale de la liberté de la presse établi en 2020 par RSF.