Igor Viniavski libéré et amnistié !
Organisation :
Reporters sans frontières se félicite de la libération ce 15 mars 2012 du rédacteur en chef du journal Vzgliad, Igor Viniavski. Après plus de deux mois d’emprisonnement, il a obtenu l’amnistie alors que le Parlement européen venait d’adopter une résolution critique envers le Kazakhstan sur ce sujet.
« Sa libération est une victoire et nous nous en réjouissons, mais nous restons très vigilants. Le régime se montre toujours très répressif à l’égard des journalistes de Vzgliad et d’autres médias indépendants comme Stan TV», a déclaré Reporters sans frontières.
Igor Viniavski avait été arrêté le 23 janvier 2012 pour avoir distribué des tracts appelant à l’insurrection un an plus tôt, ce qu’il n’a jamais reconnu.
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05.03.2012 - Igor Viniavski toujours en prison, la presse sous forte pression
Plus d’un mois s’est écoulé depuis l’arrestation d’Igor Viniavski, rédacteur en chef de l’hebdomadaire indépendant kazakh Vzgliad. À cette occasion, Reporters sans frontières publie une interview du journaliste, réalisée le 1er juillet 2011, dans laquelle il dénonçait déjà l’acharnement judiciaire organisé contre son journal, ainsi que les efforts constants du gouvernement pour limiter l’accès des citoyens au Net.
Reporters sans frontières dénonce la prolongation arbitraire de la détention provisoire d’Igor Viniavski et exige sa remise en liberté immédiate.
Son arrestation, le 25 janvier 2012, témoigne de la brutale dégradation de la liberté de l’information au Kazakhstan, classé 154e sur 179 dans le dernier classement mondial de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières. La situation des journalistes indépendants y est plus précaire que jamais. Ces dernières semaines, plusieurs ont été convoqués par le KNB (Comité de sécurité nationale) et la presse dans son ensemble est soumise à des pressions quotidiennes. Le 25 février 2012, le journaliste d’Adilet et défenseur des droits de l’homme Jarkynbek Seïtinbet a été violement agressé à son domicile de Chymkent (Sud), alors qu’il venait de publier une série d’articles critiques sur un centre d’enfermement local pour mineurs. Deux jours plus tard, le journaliste américain Nathanael Shenkkan (Eurasianet.org) a été convoqué au commissariat d’Ouralsk (Ouest) pour « violation des règles d’immigration », avant qu’une collaboratrice du ministère de l’Intérieur ne l’appelle pour s’excuser de ce « malentendu ».
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Interview d’Igor Viniavski pour Reporters sans frontières, le 1er juillet 2011 :
Le journal indépendant Vzgliad, qui aborde des questions de politique, d’éducation, de santé et de société, paraît chaque semaine à 16 000 exemplaires. Selon Igor Viniavski, la mission du journal est de créer un espace d’information et de parole pour les opposants politiques, de rapporter les persécutions, de défendre les simples citoyens et de leur rappeler leurs droits.
« Notre journal est victime de répression judiciaire »
Reporters sans frontières : Cette année, le journal Vzgliad a fait l’objet de plusieurs plaintes dues à certaines de ses publications. Votre journal avait d’ailleurs déjà été fermé suite à un procès. Racontez-nous ce qui s’est passé cette année avec Vzgliad.
Igor Viniavski : J’ai déjà eu affaire personnellement au système judiciaire de notre pays. J’ai été amené à comparaître plusieurs fois dans le cadre de mes activités journalistiques. Mon journal Vesti Pavlodara (Les nouvelles de Pavlodar) a été fermé en 2004 après une décision de justice qui allait totalement dans le sens du plaignant, un député du Parlement. Les biens du journal ont été saisis et vendus aux enchères. Le député a obtenu la fermeture du journal à cause d’un article critique, dont il considérait qu’il portait atteinte à sa réputation.
C’est maintenant notre quotidien Vzgliad qui est victime de répression judiciaire. Ce n’est pas autrement que je qualifierais ce qui nous arrive et qui a choqué l’opinion publique du pays.
Notre journal est actuellement en procès avec le chirurgien Keldybaev : il avait trompé son patient en ne lui faisant pas l’opération prévue. De fait, il a mis sa vie en danger, en ne lui disant pas la vérité. Quand le journal a évoqué cette histoire, le chirurgien a porté plainte en réclamant 15 millions de tenge (environ 72 000 euros) de compensation pour préjudice moral. Il se trouve que le frère du chirurgien est juge, et le tribunal a rendu un jugement terrible pour nous : pour avoir dénoncé les mensonges du chirurgien, le journal devra payer une somme qui le conduira assurément à la banqueroute. Notre dernier recours est de faire appel devant la cour de Cassation. (… Le 8 juillet, la Cour a confirmé la condamnation du journal)
«Le système judiciaire kazakh est avant tout un instrument de pression sur les médias indépendants »
Reporters sans frontières: Quel rôle joue le système judiciaire au Kazakhstan et comment le considérez-vous ?
Igor Viniavski: J’estime que le système judiciaire kazakh est avant tout un instrument de pression sur les opposants au régime et les médias indépendants. Le pouvoir judiciaire dépend du Président de la République, qui nomme lui-même les juges. Et surtout, la justice se met a priori du côté du gouvernement. Pas plus de 5 % des condamnations rendues dans les affaires criminelles ne sont justifiées. Les tribunaux s’alignent sur le procureur. En règle générale, le verdict rendu par le tribunal est une copie des conclusions du procureur. Les tribunaux n’essaient même pas de rendre une justice équitable. Ils sont aujourd’hui semblables aux “troïkas” (tribunaux spéciaux) de l’époque des répressions staliniennes. La seule différence, c’est que les gens ne sont pas fusillés. Pour le reste, le mécanisme est identique: l’accusé est jugé coupable rapidement et sans débat particulier.
« Les journalistes ont été formés pour comprendre quels sujets ne pas diffuser ou ne pas publier »
Reporters sans frontières : Comment décrire l’état de la liberté de la presse au Kazakhstan ?
Igor Viniavski: La situation est sans doute meilleure qu’en Ouzbékistan et au Turkménistan. Notre pays a amorcé un tournant démocratique. Mais si l’on se compare avec les pays d’Europe de l’Est, nous n’avons pas un retard de 20 ans, mais de 40 ans ! En 20 ans, ils ont avancé, alors que nous, nous avons reculé. Aujourd’hui nous vivons presque dans un régime totalitaire. La censure existe sous la forme de l’autocensure. Les journalistes ont été formés pour comprendre quels sujets ne pas diffuser ou ne pas publier, et ce pour des raisons politiques. Les droits des journalistes sont très limités. Les professionnels des médias subissent une pression psychologique constante et des violences physiques. Il y a deux semaines, le journaliste Alexandre Baranov a été agressé à Pavlodar. Je le connais personnellement. C’est un professionnel qui ne craint rien, il a risqué sa vie déjà plusieurs fois à cause de ses activités professionnelles.
Reporters sans frontières : Selon vous, les lois sur les médias sont-elles protectrices ?
Depuis 1995, la loi sur les médias a été modifiée pas moins de sept fois. Elle s’est complexifiée, mais aucune modification, aucun ajout, n’est véritablement allé dans le sens d’une libéralisation. La procédure d’ouverture d’un titre de presse écrite est tout aussi compliquée qu’auparavant. Le statut misérable des journalistes ne leur permet pas de se présenter sans autorisation préalable aux événements politiques importants. Si un fonctionnaire ou une organisation bafoue les droits d’un journaliste, ils ne sont jamais déclarés responsables.
« Je peux dire que la loi sur les médias ne défend pas la presse, mais lui impose des contraintes »
Reporters sans frontières : La situation de la liberté d’expression a t-elle changé après les dernières élections présidentielles ?
Igor Viniavski : Il me semble que la situation n’a pas changé. Elle est toujours aussi mauvaise, précisément du fait de l’immobilisme politique au Kazakhstan. Rien ne change d’une année sur l’autre. (…)
« Notre gouvernement cherche constamment à limiter l’accès des citoyens aux diverses ressources Internet »
Reporters sans frontières : Que pouvez-vous dire d’Internet? S’agit-il d’un espace de libre expression au Kazakhstan ?
Igor Viniavski : Dans une certaine mesure, oui, mais notre gouvernement cherche constamment à limiter l’accès des citoyens aux diverses ressources Internet. Pendant plus d’un an, l’accès à LiveJournal (plateforme de blogs très populaire dans l’espace russophone) a été bloqué dans le pays. C’est déjà la deuxième année que l’accès au portail d’information politique Respublika est bloqué par le fournisseur d’accès à Internet (FAI) Kazakhtelecom.
Facebook représente maintenant un sérieux problème pour le pouvoir. Selon certaines de nos sources, proches de l’administration présidentielle, les autorités sont en train de passer en revue les possibilités de contrôle ou de blocage de ce réseau social. Le fait est que Facebook est devenu un indicateur des mouvements révolutionnaires au Maghreb. L’administration de Nazarbaev craint sérieusement l’influence des réseaux sociaux sur la conscience collective des Kazakhs. La télévision est contrôlée par le pouvoir et ne diffuse que des commentaires positifs sur Nazarbaev et son régime. Mais sur Internet, on peut trouver des points de vue alternatifs et exprimer son opinion.
D’ailleurs, il n’y a que sur Internet que les Kazakhs ont accès à la chaîne (satellitaire indépendante) K+. Cette chaîne populaire témoigne de ce qui se passe réellement en Asie centrale et au Kazakhstan. Elle est diffusée librement en Europe tandis que sur le territoire kazakh, la transmission par satellite est bloquée, et le site de la chaîne a subi des attaques DDoS. La seule possibilité reste donc de regarder la chaîne sur Youtube.
Reporters sans frontières : Ces derniers temps, vous affirmez avoir subi des pressions du pouvoir, que vos droits ont été bafoués. Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de ces pressions ?
Igor Viniavski : Il y a plus d’un an, les services spéciaux ont cherché à me mettre en cause dans une affaire criminelle montée de toutes pièces. Cependant, grâce aux informations transmises par des personnes bienveillantes appartenant aux services de sécurité, nous avons réussi à faire la lumière sur cette situation, et les provocations ont cessé d’elles-mêmes.
Le 21 juin 2011, j’ai été victime d’une nouvelle provocation. Je devais prendre un vol le matin pour Amsterdam puis pour Bruxelles, où je devais participer à une conférence organisée par le Parlement européen, sur la corruption dans les pays centrasiatiques. Mais on ne m’a pas laissé passer la douane, et devant l’insistance des fonctionnaires, la compagnie KLM a même annulé mon billet. Cette décision m’a été justifiée par le fait que mon visa n’était pas valable dans les pays de l’espace Schengen.
Mais je sais que je suis dans mon bon droit : mon visa me permet de rester 90 jours dans n’importe quel pays de l’espace Schengen. D’ailleurs, je me suis déjà rendu à Bruxelles avec ce visa, sans rencontrer le moindre problème. Je suis donc décidé à porter plainte contre KLM et le service des douanes, qui est d’ailleurs affilié au KNB.
Reporters sans frontières : Quelles sont les perspectives de survie de votre journal ? Qu’allez vous faire si vous perdez votre procès ?
Igor Viniavski : Dans notre pays, où il n’y a pas de justice équitable et où les lois ne sont pas appliquées, il est difficile de parler de perspectives. Si nous perdons tous les procès, alors nous publierons sur Internet et nous créerons un projet Internet avec l’équipe existante. Ou bien nous publierons le journal sous un autre nom comme l’a fait [le journal d’opposition Respublika, par exemple]. Nous avons une équipe formidable !
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Updated on
20.01.2016